Cahier critique 26/09/2018

"Promène-toi donc tout nu" d’Emmanuel Mouret

Un homme, trois femmes et autant de possibilités. De la difficulté de s’engager…

La “comédie sentimentale pour adulte” d'Emmanuel Mouret se place sous le signe du vaudeville, avec son titre faisant directement allusion à la pièce de Feydeau : N'te promène donc pas toute nue. Mais il faut voir dans cette évocation inverséedavantage un clin d'œil qu'une véritable parenté avec le genre ou le film tiré de la pièce en 1936 par le petit-fils même de l'écrivain. Quand apparaît Clément, le personnage principal – par ailleurs narrateur et incarné par le réalisateur lui­-même –, la silhouette d’Arletty est bien loin. La filiation serait plutôt à chercher du côté de Rohmer, déjà présent dans l'esprit de machination un peu perverse et la mauvaise foi des personnages d'Il n'y a pas de mal2.

On trouve dans Promène-toi donc tout nu ce même goût des protagonistes manipulés et ballottés au gré des circonstances, ainsi qu'un schéma narratif qui n'est pas sans rappeler celui des Contes moraux, où un homme est momentanément détourné de la femme avec laquelle il va se lier. Plus généralement, il y a les allusions au thème cher à Rohmer du hasard et de la nécessité, l'amante pour un jour de Clément portant l'utopique prénom de “Liberté”. Tout un programme ! Mais, oh combien, dérisoire quand l'on sait que la jeune fille a été jouée à pile ou face par le jeune homme incapable de choisir entre elle et son amie Constance. Et que l'on sait, par ailleurs, que c'est à la même Constance que l'on doit cette “expérience amoureuse”, qu'elle a instaurée de toutes pièces pour prouver à Clément que toutes les filles se valent. Le jeune homme est confronté à cette “mécanique des femmes”, un peu à la manière d'un rat de laboratoire pris au piège d'hypothèses scientifiques, mais il sortira de l'aventure un peu plus libre de son corps et prêt à se jeter à l'eau – du moins au sens propre. Car Clément a retenu la leçon de son père : pour séduire les filles, il faut savoir les surprendre. C'est-à-dire sortir du rôle dans lequel on se laisse trop vite enfermer par les autres. Et le film prend en charge avec beaucoup de bonheur les marges de flottement de chacune des personnalités mises en scène, ménageant sans cesse fausses pistes et retournements très drôles, comme lors de cette scène d'ouverture où l'on comprend peu à peu que Clément n'est pas un “fils à papa”, mais un fils de jardinier, par ailleurs décidé à lui couper très prochainement les vivres.

Jouant avec légèreté et dérision des indices d'ordre psychanalytique – la mère est évincée, le père est omniprésent, et que dire de cette peur des grottes qu'éprouve Clément ! –, Emmanuel Mouret finirait par faire basculer tout son petit monde dans la perversion la plus complète que cela ne nous étonnerait qu'à moitié... D'autant plus que le commentaire off gentiment niais de Clément ne fait que renforcer l'idée que, décidément, quelque chose résiste à cette apparente platitude. Il y a un petit air de Moullet dans cette réjouissante mise en scène de soi­-même faite d'une voix traînante. Et si l'on est rattrapé par un sentiment de déception face à un usage parfois assez convenu de cette veine cinématographique de la naïveté affichée, le film a tôt fait de nous faire replonger dans les trompe-l'œil les plus savoureux. 

1. Évolution des temps et des mœurs oblige, c'est le fait de se promener nu qui se pose ici en norme et non l'attitude inverse. Autre signe des temps (?), c'est l'homme qui prend en charge cette attitude décalée. 

2. Bref n° 35, 1997.

Claire Vassé

Article paru dans Bref n° 40, 1999.

Réalisation et scénario : Emmanuel Mouret. Image : Aurélien Devaux. Son : Ludovic Escallier. Musique : Vincent Chanier. Montage : Sarah Turoche. Interprétation : Emmanuel Mouret, Marie Piémontèse, Maïté Maillé, Clémentine Baert et Michel Bonduel. Production : La Fémis.