Cahier critique 05/04/2022

"Primrose Hill" de Mikhaël Hers

Une banlieue ouest de Paris, un grand parc qui surplombe la ville, la Seine en contrebas, une colline à Londres, le refrain d’une mélodie dissonante, l’amitié, l’ombre de ces groupes anglais trop écoutés, des visages oubliés, la couleur du souvenir.

On connaît peu d'autre début de carrière aussi cohérent que celui de Mikhaël Hers : en arpentant Primrose Hill, qui succède à Charell, libre adaptation d'un livre de Patrick Modiano (voir Bref 76 et le DVD# 4 de La petite collection de Bref), on pense à nouveau avec évidence à l'univers de l'écrivain. Formellement d'abord, tant la démarche de représentation des paysages (en plans larges, souvent) est génératrice de la mélancolie déjà prégnante dans Charell. D'un point de vue narratif ensuite, la construction rapproche le cinéaste du romancier, à travers une voix off ressuscitant un passé embrumé par la fuite du temps, le télescopage d'images contemporaines favorisant pleinement la réminiscence. Cette voix étant celle d'une disparue, l'atmosphère se nimbe d'une résonance fantomatique sensiblement plus grave : Sylvia s'adresse au petit groupe, jadis inséparable, réunissant son frère cadet Stéphane, Xavier, Sonia et Joëlle. Au cours d'un séjour à Londres, les jeunes gens avaient déambulé sur les flancs de la colline de Primrose, puis Sylvia s'était effacée, sans prévenir — est-elle du reste encore vivante ? Nul ne sait vraiment, chacun se borne à s'en persuader.

Le temps a glissé, la bande s'est éparpillée et les retrouvailles des anciens amis se déroulent sous un froid soleil d'hiver, en cette unique journée qu'épouse le film de Mikhaël Hers. Le passé hante naturellement les conversations, au fil d'une balade similaire à celle de Primrose Hill, dans le paysage de leur jeunesse, une banlieue résidentielle vallonnée du sud-ouest de Paris, non loin de ces “boulevards de ceinture” chers à Modiano… Des noms, d'ailleurs, remontent du passé, charriant leur flot de sentiments enfouis et de désirs estompés. Et, au bout du jour, la discrète Joëlle, devenue enseignante en Lettres, part bravement à la recherche du temps perdu en prenant l'initiative pour inviter Stéphane à faire l’amour avec elle. Cette scène de lit, filmée in externoen plan fixe, est l’une des plus belles qu’il nous ait été donné de voir dans le cinéma français depuis longtemps (depuis toujours ?), avec une simplicité presque irréelle dans sa justesse même. Primrose Hill ne se veut pas le portrait d’une génération désorientée, mais ses personnages, qui appréhendent la vie d’adulte sous le baume d’un romantisme pop-rock imprégné d’un fantasme culturel anglo-saxon, nous apparaissent terriblement attachants. Et ce, même si tout ceci ne devait être qu’un rêve.

Christophe Chauville

Article paru dans Bref n° 79, 2007.

France, 2007, 57 minutes.
Réalisation et scénario : Mikhael Hers. Image : Sébastien Buchmann. Montage : Isabelle Manquillet. Son : Nicolas Waschkowski et Benjamin Viau. Musique : Martin Newell et Matt Tedstone. Décors : Camille Barbier. Interprétation : Alain Libolt, Stéphanie Daub-Laurent, Jeanne Candel, Mila Dekker, Thibault Vinçon et Hubert Benhamdine. Production : Les Films de la Grande Ourse.