Cahier critique 15/11/2022

“Premier amour” de Florent Gouëlou

Un show drag dans un bar parisien. Le public n’a d’yeux que pour la reine de la soirée, Cookie Kunty. Mais depuis le fond de la salle, Baptiste, son petit ami, la regarde peut-être pour la dernière fois.

Suivi par un travelling aérien, Baptiste (Andrea Romano) fait irruption dans un café parisien, tenant en main une magnifique perruque blonde qu’il dépose avec grand soin. Ce trésor précieux n’est pas pour lui, mais pour Cookie, son grand amour qui doit se produire dans le sous-sol du bar et qui, pour l’instant, se fait attendre. Cette exposition dit tout du déséquilibre qui régit cette relation amoureuse chancelante. Cookie se dérobe et se fait désirer ; Baptiste, faute de mieux, fait le factotum. Florent Gouëlou possède une grande intelligence des lieux et des situations et sait raconter beaucoup avec peu de choses. En trois décors – le bar, les coulisses, la scène pendant le show –, l’efficacité de sa mise en scène parvient à dévoiler combien ce couple s’aime et combien il s’éloigne.

Avec ce troisième court métrage, le réalisateur met en scène Cookie Kunty, drag star de la scène parisienne qu’il a découverte au hasard d’une représentation en 2017. Il l’intègre alors à son film de fin d’études de la Fémis, Un homme mon fils, et le monde des drag queens, pris comme toile de fond, vient renforcer les contrastes entre un père et son fils, habités par des visions opposées de la masculinité. Dans son film suivant, Beauty Boys (2020) la performeuse est l’égérie de son jeune cousin vivant à la campagne et passionné de voguing venant à la rescousse d’une scène ouverte de village virant à la catastrophe. Avec ce troisième rôle, elle est encore objet de désir et de fantasme, qui ne dévoile pas son apparence en “civil”. Ce sera le cas dans Trois nuits par semaine, sorti ce 9 novembre en salles et produit par Nelson Ghrénassia, déjà à l’œuvre sur les courts via Yukunkun Productions.

Dans les coulisses avant le spectacle, sa relation avec Baptiste laisse transparaître la contradiction d’une complicité profonde et d’un délitement du couple en brouille constante. Le cinéaste, lui-même devenu performer depuis sa rencontre avec ce milieu sous le nom de Javel Habibi, filme ces scènes de ménage sous le regard narquois des comparses de Cookie. Leur verve et leur sens de la répartie inocule de la comédie et désamorce le drame amoureux dans lequel le drag tient lieu de rival de l’amoureux délaissé.

Sur ce fil narratif de la romance, Florent Gouëlou fait de son film une déclaration d’admiration à l’univers du drag et place sa caméra pendant le show à la place du regard amoureux de Baptiste. Depuis le public, il entend la déclaration secrète que lui chante son amoureux à travers les mots d’Isabelle Aubret, (qui restent autant en tête que le tube d’Indochine auquel le long emprunte son titre) : “Qu’as-tu fait de toi, qu’as-tu fait sans moi / Et moi, moi qui t’ai perdu, qu’ai-je fait de plus / Qu’ai-je fait de tant de bonheur ?”.

Raphaëlle Pireyre

France, 2020, 11 minutes.
Réalisation et scénario : Florent Gouëlou. Image : Victor Chwalczinski. Montage : Louis Richard. Son : Mathieu Burgess et Geoffrey Perrier. Interprétation : Andrea Romano, Romain Eck, Harald Marlot et Mathias Houngnikpo. Production : Yukunkun Productions et Les Quatre Cents Films.