Cahier critique 01/06/2021

“Poisson” d’Aurélien Vernhes-Lermusiaux

Adélaïde et ses deux garçons, Jean et Sacha, passent quelques jours en montagne. Entraînant sa famille dans de longues randonnées, la jeune femme espère faire découvrir aux enfants la trace d’un souvenir caché.

Perdue au fond des bois, la cabane où Adélaïde (Adélaïde Leroux) se réfugie avec ses deux fils, lorsque sa randonnée est perturbée par une violente averse, place Poisson du côté du conte de fées. Surgit un pêcheur, Karim, qui pourrait être un ogre, tout autant que le prince charmant. Le sweat-shirt d’Adélaïde, portant le dessin du loup du Little Red Riding Hood de Tex Avery, insiste autant sur cette tendance à se référer au conte, que sur son détournement vers un autre genre.

Karim (Samir Guesmi) pourrait aussi bien trouver sa place dans le cinéma d’horreur, et les codes du cinéma fantastiques voisinent avec les références au conte. La récurrence de la caméra flottante qui traverse l’espace, que ce soit de jour dans la forêt, ou la nuit, dans le gîte où Adélaïde séjourne pour les vacances, suscite le sentiment d’une étrange présence, dont on ne sait si elle est malveillante ou surnaturelle. Caressant les corps des deux garçons, puis de la femme endormis, la caméra les observe dans leur sommeil, sans qu’on sache ce qu’Adélaïde voit lorsqu’elle ouvre brusquement les yeux.

Car il s’agit autant de voir que d’être vu. La jeune femme semble aussi incrédule, face à ce qui l’entoure, que son fils lorsqu’il surprend un couple faisant l’amour dans les bois ou la découpe du cochon que l’on vient de tuer. Cette semblable insistance du regard porté sur les phénomènes qui les entourent crée une forme de gémellité entre ces deux personnages que le montage s’amuse à confondre, substituant en un raccord la nuque du garçon au visage de la mère.

Sur ce monde où le pire (le deuil) lui est déjà arrivé, dont le sens semble s’être perdu, Adélaïde pose un regard d’incompréhension qui peut être traduit par la libre association, au montage, de séquences qu’aucun rapport de cause à effet ne relie entre elles, comme l’apparition/disparition de Karim ou la succession des balades dans la forêt.

Dans cet ensemble chaotique, seul l’horizon météorologique, avec la récurrence de nuages menaçants, semble assurer une forme de continuité qui manque à la logique terrestre. Adélaïde cherche dans la forêt un signe de la permanence de son mari, qui viendra de façon inattendue et en provenance du ciel.

Raphaëlle Pireyre

Article paru dans Bref n°113, 2014.

France, 2014, 26 minutes
Réalisation : Aurélien Vernhes-Lermusiaux. Scénario : Audrey Fouché et Aurélien Vernhes-Lermusiaux. Image : Claire Mathon. Montage : Thomas Glaser. Son : Vincent Verdoux, Olivier Pelletier, Jocelyn Robert et Emmanuel Croset. Interprétation : Adélaïde Leroux, Samir Guesmi et Nathalie Boutefeu. Production : Noodles Production.