Cahier critique 06/07/2021

“Plaisir fantôme” de Morgan Simon

Jeanne élève seule sa fille de 9 ans, Mylène, et songe à leur prochaine virée à la mer.

Avertissement : interdiction aux moins de 12 ans.

Une femme, mère d’une petite fille, profite d’une baignade avec cette dernière et le plaisir éprouvé – réel et pas fantôme, pour le coup – lié à cet épisode banal d’une vie de famille prend une dimension d’épiphanie, par la grâce d’une photographie dorée signée Paul Guilhaume, chef-opérateur décidément surdoué, et des notes de Tomaso Albinoni. C’est d’ailleurs l’Adagio qui avait ouvert le film et ce sommet de mélancolie au sein du répertoire classique sied à celle de son personnage principal. 

Actrice de films pornographiques, elle a de longues années d’expérience et fait son boulot comme une autre irait vendre des croissants dans une boulangerie ou tenir un guichet de Pôle Emploi. Certes, elle confie à une jeune congénère qu’elle y trouve toujours son compte, qu’il n’y a pas de partenaire moche ou dégoûtant, que toute scène effectuée est une fête… Mais son regard, où pointe souvent un soupçon de tristesse, ne trompe pas. L’absence s’y lit. D’ailleurs, c’est cette notion même qui se trouve au cœur d’une scène centrale du film : alors qu’elle est en train de tourner une séquence explicite avec trois hommes, Anna s’éclipse symboliquement. Elle est là physiquement, active, mais son âme – son “être véritable” – s’échappe. En transparence, nue comme la vérité sortant du puits, filant bien loin de ces ébats destinés à alimenter les autoroutes virtuelles du porno en ligne. Le plaisir qu’elle prétend toujours rencontrer, sans être blasée, serait ainsi bien fantôme au sens où un manchot continue de ressentir son bras manquant, le fameux membre fantôme (sans aucun jeu de mot, juré…). 

C’est après son premier long métrage Compte tes blessures (sorti en salles au début de 2017) que Morgan Simon est revenu au format court, filmant dans Plaisir fantôme Anna Polina, cette “hardeuse” d’origine russe travaillant et vivant en France. La frontière floue entre fiction et réalité sert de ligne de crête, parfois avec humour car on pense à la difficulté proverbiale des comédien(ne)s de productions pour adultes à jouer et venir à bout des dialogues, ce qui est le cas ici, notamment lors des échanges avec les autres filles, qui, viennent du cinéma dit traditionnel (comme Sarah-Megan Allouch, ceci dit souvent présente dans des univers nettement troubles ou sexués) ou du monde de l’art (pour Andréa De Bortoli). Mais l’objectif, qui est de faire refluer les préjugés et de susciter l’empathie envers le personnage, est vite rempli : cette femme nous touche ; c’est une mère qui fait de son mieux, souffrant sans doute de cette honte évoquée, ressentie par sa fille de neuf ans lorsqu’elle vient le chercher à la sortie de l’école. Et la virée à la mer promise a une portée universelle : tous les gosses du monde attendent de leurs parents ce genre de divertissante escapade.

Quant au sujet de l’industrie filmique du X, il semble attirer l’intérêt de nombre de jeunes cinéastes de la génération 2.0 à laquelle appartient Morgan Simon, à savoir le duo Poggi/Vinel (Notre héritage, avec déjà Sarah-Megan Allouch…), Maxime Caperan et Thomas Finkielkraut (Pornstar), Julien Guetta (Lana del Roy) ou encore Corentin Coëplet (Un jour bien ordinaire, coréalisé avec Ovidie). À chaque fois, le regard est porté au-delà des apparences, fouillant dans la vraie vie, la banalité du quotidien, très loin de ce que peut projeter fantasmatiquement l’adepte du “genre”. Morgan Simon n’en rajoute pas et son héroïne ne compte pas ses blessures… Elle s’attache simplement à assumer sa vie de femme sous tous ses aspects, y compris la voie qu’elle a choisie. S’en détacher est difficile, mais une échappée onirique finale peut le permettre, à travers un motif mythologique à ne pas révéler, mais qui associe à la fascination exercée sur les hommes, potentiellement létale, une certaine vulnérabilité à leur égard.

Christophe Chauville 

France, 2019, 16 minutes.
Réalisation et scénario : Morgan Simon. Image : Paul Guilhaume. Montage : Marie Loustalot. Son : Samuel Aïchoun, Antoine-Basile Mercier et Alexis Meynet. Interprétation : Anna Polina, Sarah-Megan Allouch, Andréa De Bortoli et Élise Havelange. Production : Trois Brigands Productions.