Cahier critique 07/09/2021

“Pile poil” de Lauriane Escaffre et Yvonnick Muller

Dans trois jours, Élodie passe l’épreuve d’épilation de son CAP d’esthéticienne. Son père, Christophe, boucher, aimerait bien qu’elle l’aide davantage à la boucherie.

Les poils... Ils nous mènent la vie dure. La tendance installée depuis des dizaines d’années veut qu’on n’ait de cesse de s’en débarrasser. Pourtant, ironie du sort, c’est bien une jeune femme poilue qu’Élodie, étudiante en CAP d’esthéticienne, entreprend de trouver pour passer son examen. Contrainte d’aider son père à la boucherie, elle n’a pas eu le temps de chercher assez tôt. Christophe, de son côté, ne s’intéresse que de loin aux activités de sa fille. Il manque entre eux le chaînon que devait constituer la mère. Encore en proie au deuil, ils s’obstinent l’un et l’autre dans une fierté et un silence qui les éloignent.  

Les deux réalisateurs abordent les relations familiales avec beaucoup de finesse et de tact. Ce n’est pas tant la boucherie et l’esthétique en elles-mêmes qui s’opposent, mais bien deux mondes.
On entre dans le film avec la délicatesse féérique d’une mélodie, la caméra se joint aux mains et aux pinceaux pour caresser doucement la peau, un camaïeu de roses envahit l’image jusqu’à ce qu’une hache s’abatte sur un morceau de viande. Le choc du montage met la machine de la discorde en marche. La caméra tremble, est en retard, n’arrive plus à suivre, tout comme Élodie qui, sur son portable, ne semble pas vouloir se trouver là, contrairement à son père, qui reste posé et calme, pilier parfaitement dans son élément.

L’esthéticienne et le boucher : l’une en bleue, l’autre en rouge ; la confrontation passe aussi par la tenue, presque un uniforme. Mais de ce dernier on est fier. Et nos deux protagonistes ont en commun ce caractère bien trempé de forte-tête. Les chiens ne font pas des chats.Ces deux personnages, très bien campés par Madeleine Baudot et Grégory Gadebois, ne pourraient pas renier leur lien de parenté. Comme la boucherie et l’esthétique, ils partagent la chair. En réalité, l’un comme l’autre fait des efforts et des compromis, mais leur manque de communication et leur dignité mal placée les empêchent d’admettre leurs faiblesses. Ce n’est qu’au pied du mur qu’on envisage l’impensable et qu’on se rend compte que, pour ceux qu’on aime, on est prêt à aller jusqu’au bout des ongles, euh… du monde ! 

Anne-Capucine Blot 

France, 2018, 21 minutes.
Réalisation et scénario : Lauriane Escaffre et Yvonnick Muller. Image : Noémie Gillot. Montage : Sara Olaciregui.
Son : Stéphane Isidore et Gildas Préchac. Musique originale : Hervé Rakotofiringa. Interprétation : Madeleine Baudot, Grégory Gadebois, Brigitte Masure, Sophie Robin, Claudia Bacos et Lauriane Escaffre. Production : Qui Vive !.