Cahier critique 09/01/2019

“Petit tailleur” de Louis Garrel

Léa Seydoux rejoint la troupe de Louis Garrel pour un film multiprimé en festivals.

Revoir Mes copains, film discret de 2007, à l'aune de ce Petit tailleur bien mis, éclaire un peu mieux sur la manière de Louis Garrel dans ses atours de cinéaste. D'un film à l'autre, on retrouve une troupe de jeunes acteurs dont les personnages portent souvent le même prénom qu'eux, une inscription du récit dans des rues parisiennes, des cafés, des lieux qui leur sont peut-être familiers...

Si l'affectation caractérise le jeu souvent référencé, parfois irritant, de Louis Garrel, le terme ne déparera pas, pour ses détracteurs, avec son cinéma. Noir et blanc, décrochages, voix off du cinéaste en narrateur un brin ironique (une trace d'Ophuls ?), typo atypique du générique, sophistication pop (“What Difference Does it Make” des Smiths rythmant une course et un travelling nocturnes évoquant Carax), on pourrait envisager Petit tailleur comme un film poseur. On préférera, nous, y voir s'affirmer timidement une personnalité d'apprenti cinéaste conscient de ne pas en avoir fini avec ses influences.

Alors que les errements sentimentaux que racontent les deux films de Louis Garrel sembleraient d'emblée convoquer le réalisme le plus frontal, leur forme – doucement maniérée – tient pourtant l'émotion à distance. Cette pudeur frustre forcément tant on devine qu'il s'en faudrait de peu pour que le film vibre et nous étreigne durablement.

Ce décalage, cette retenue sont manifestes (Mes copains était sans doute, dans son filmage, plus insouciant, moins appliqué), presque involontairement signifiés par la structure du film : deux récits qui s'opposent et se complètent. D'un côté – film arty sur des jeunes bohèmes – l'histoire d'amour naissante entre Arthur, apprenti tailleur se demandant où va sa vie, et Marie-Julie, comédienne de théâtre à la carrière prometteuse ; de l'autre – sur un mode quasi-documentaire – l'histoire d'Arthur avec Albert, le vieux tailleur dont il doit reprendre l'affaire. Ces séquences-là (scènes de travail, dialogue des générations), Garrel les réussit parfaitement, trouvant précisément comment filmer le vieil homme, jamais esclave de sa gouaille et de son incroyable photogénie. Le film oublie alors son programme d'élégance, capte quelque chose de la vraie vie et touche profondément, à l'unisson d'une ultime réplique mémorable du vieux tailleur : “Ah ! C'est pas à moi qu'il faut offrir des fleurs.

Stéphane Kahn

Article paru dans Bref n° 94, 2010. 

Réalisation et scénario : Louis Garrel. Image : Léo Hinstin. Montage : Marie-Julie Maille. Son : Philippe Deschamps, Boris Chapelle et Mélissa Petitjean. Musique originale : Grégoire Hetzel. Interprétation : Arthur Igual, Léa Seydoux, Grand Albert, Lolita Chammah et Sylvain Creuzevault. Production : Mezzanine Films.