Cahier critique 27/01/2021

“Peau de vache” de Gérald Hustache-Mathieu

Claudine a dix-sept ans. Elle vit à la campagne avec ses parents, qu’elle aide à travailler aux champs. Les vaches sont ses seules amies. C’est elle qui s’en occupe tous les jours. Claudine fait aussi du “baby-sitting”, comme elle dit, mais sous une forme assez inattendue. L’argent qu’elle gagne ainsi, lui permet de réaliser ses petites folies, comme se teindre en rousse ou s’acheter une veste en peau de vache...

On ne dira jamais assez combien la fiction a toujours un train d’avance sur le réel. Ainsi, neuf ans avant la pandémie de Covid-19, Steven Soderbergh en esquissait les grandes lignes dans Contagion, et vingt ans avant que cela ne devienne “tendance”, Peau de vache de Gérald Hustache-Mathieu faisait l’éloge du renouveau paysan et du retour à terre. Et bien avant que l’époque soit sensible à question du genre, et bien avant Petite fille de Sébastien Lifshitz, Peau de vache évoquait déjà le sort tragique d’une jeune adulte qui rêve de devenir autre chose qu’une femme  : une vache !

À mille lieux du naturalisme rural qui traverse encore aujourd’hui le cinéma français (et ce jusque dans ses “thrillers” comme Petit paysanAu nom de la terre ou Seules les bêtes), la réussite de Peau de vache tient à son équilibre de film un peu bancal, film à part, à la fois provocateur et poétique. Peau de vache est d’abord l’histoire d’un désir ; celui de devenir un animal, une vache en l’occurrence. Pour ce faire, Claudine (Sophie Quinton) fait du babysitting sous une forme inattendue. L'argent qu'elle gagne lui permet de réaliser ses folies : elle se teint en rousse, s’achète une veste en peau de vache, s’accroche un anneau au nez et se déshabille dans un champ face à un taureau esseulé.... Dans Peau de vache, la métamorphose a pour moteur le désir taurin. Histoire torride, zoophile. Parallèlement, Hustache-Mathieu, qui signe ici son premier court métrage, fait de son actrice (dont c’est ici également les débuts au cinéma) un véritable objet de désir : jeune fille aux joues roses, au sourire malicieux, à la poitrine généreuse, une fille pudique, coquine et sensuelle ; tant d’atouts qui ne manquent d’ailleurs pas d’attirer les mouches, c’est-à-dire les enfants, les morveux qui payent pour danser tête contre la poitrine de la paysanne dans une grange. Claudine/Sophie Quinton, que la caméra dévore tout autant que les mômes, incarne ce je ne sais quoi de glamour rural, amalgame de mamelle et de lait naturel, de fraîcheur et de virginité. Elle est une invitation à une rêverie complice, simple et séminale. Ses yeux brillent et de la rosée coule de ses lèvres humides. Dans Peau de vache, le désir se trouve ici et là, ici ou là, à tout bout de champ de betterave normand. Et bien que souvent situé en dessous de la ceinture, l’humour reste léger, plutôt bon enfant. 

Formellement Hustache-Mathieu n’en fait pas de trop (pas encore), il ne nous assomme pas (pas encore) de références. On sent le premier film aussi essentiel que ses coupes sont franches, on sent l’envie d’en découdre pour le réalisateur comme pour son actrice dans cette expérience de la première fois. Peau de vache est une tranche d’onirisme beurrée de sensualité normande. Poétique, déconneur et décalé, ce film est une comédie rurale du désir fantastique, merveilleux mais surtout du (bien) naturel. Malheureusement, avec son “happy end” final, le film choisit de faire un retour dans les sillons de la normalité. Il moissonne peut-être un peu trop vite ses promesses d’amusement. Et cette banalité finale, avec à l’horizon un lit conjugal (même sous une tente), détonne avec l'iconoclasme de l’ensemble.  

Réalisé en 2001, Peau de vache a connu un très beau succès dans les festivals. En 2003, il recevait le César du meilleur court métrage et lançait par là même la carrière d’Hustache-Mathieu (à travers les longs métrages Avril et Poupoupidou), ainsi que celle de Sophie Quinton. Après ce premier film, le réalisateur réalisait un deuxième court métrage, La chatte andalouse, une œuvre (déjà) très maniérée où son actrice principale (Sophie Quinton, qui fut dès lors de tous les films du réalisateur) interprétait à nouveau le rôle d’une femme brûlant d’un désir inouï en étant, en même temps, elle-même objet de désir. 

Donald James

Réalisation et scénario : Gérald Hustache-Mathieu. Image : Aurélien Devaux. Montage : François Quiqueré. Son : Pierre André. Interprétation : Sophie Quinton, Clémence Massart, Jean-Claude Blanchard et Olivier Saint-Jour. Production : Fidélité Productions.