Cahier critique 06/03/2019

"Pauline asservie" de Charline Bourgeois-Tacquet

Plongez dans la tourmente amoureuse 2.0.

J’attends une arrivée, un retour, un signe promis. Ce peut être futile ou énormément pathétique : dans Erwartung (Attente), une femme attend son amant, la nuit, dans la forêt ; moi, je n’attends qu’un coup de téléphone, mais c’est la même angoisse. Tout est solennel : je n’ai pas le sens des proportions.” Roland Barthes avait tout compris de l’attente de l’amoureux et écrit Fragments d'un discours amoureux pour tous les cœurs angoissés. À sa suite, Charline Bourgeois-Tacquet réalise un film dans lequel se reconnaîtra toute âme qui est déjà restée pendue au téléphone, vilipendant toute personne qui monopoliserait la ligne, dans l’espoir d'un appel. Il se soustrait à la vue et, pour compenser cette absence, l’amoureuse le rend présent dans le moindre de ses gestes. Elle le parle, le chuchote, le crie. Lui, son amour tendre et tordu qui la fait souffrir, l’abandonne sur le seuil de l’attente.

Pourtant, dès le début du film, la relation entre Pauline et Bruce paraît absurde, à la limite du ridicule. Elle est trentenaire et pleine de fougue, lui quinquagénaire et marié. Mais l’amour n’a ni âge ni raison, alors quand Pauline ne reçoit plus de SMS de Bruce, c’est le drame. Ce qui ne pourrait être qu’un petit détail donne lieu à toute une histoire dans la vie de la jeune femme – et à tout un court métrage.

Face à l’absence de signe de l’être aimé, nous sommes tous pareils et Pauline asservie dépeint avec une extrême justesse toutes les étapes de l’attente, de l’imagination des meilleurs scénarios comme des pires, à l’accusation sans appel, en passant par l’auto-persuasion. Anaïs Demoustier incarne l’inquiétude, la folie, la colère, la pitié de l’amoureuse et nous voulons l’aider, comme nous avons déjà un jour consolé une amie.

Mais ce qui donne au film toute sa saveur, c’est l’humour. Charline Bourgeois-Tacquet tourne complètement la situation, avec dérision et distance, et filme, d’une caméra désabusée, une situation qui se voudrait dramatique. Le montage suit les pérégrinations des deux personnages principaux avec un sens du rythme tel que l’ennuyeux sentiment d’attente devient palpitant. Le spectateur bondit à l’unisson avec le cœur de Pauline, de plan en plan et de mot en mot. Pour autant, l’image sait se suspendre quand il le faut et donner le temps à l’angoisse de s’installer avant d’exploser dans une séquence mémorable de tirade affolée. Le rythme va de pair avec la musique pour nous rappeler ce chaos de sentiments (in)désirables. De quoi vous donner envie de danser en pleurant.

Tout est un peu exagéré et frôle le cliché, mais quoi de plus vrai qu’un cliché ? Oui, il arrive de se vautrer dans la nourriture pour rassasier l’angoisse, de sursauter à chaque tintement de téléphone et de devenir susceptible. Pauline asservie nous conseille : il vaut mieux en rire qu’en pleurer.

Anne-Capucine Blot

Article paru dans Bref n°124, 2019.

Réalisation et scénario : Charline Bourgeois-Tacquet. Image : Noé Bach. Montage : Nobuo Coste. Son : Vincent Brunier, Grégoire Chauvot et Vincent Verdoux. Interprétation : Anaïs Demoustier, Sigrid Bouaziz, Coline Béal, Léonard Bourgeois-Tacquet, Ambre Dubrulle, Grégoire Montana-Haroche et Bernard Cupillard. Production : Année Zéro.

 

Entretien de Charline Bourgeois-Tacquet - La semaine de la critique