Cahier critique 27/12/2022

“Partir un jour” d’Amélie Bonnin

Le bac en poche, Julien a quitté sa ville natale pour se construire une vie plus grande à la capitale, laissant ses souvenirs derrière lui. Et puis un jour, il faut revenir, et ce jour-là ses souvenirs lui sautent au visage, entre deux paquets de pépitos.

Les déménagements de maisons familiales encouragent presque toujours le passé à ressurgir. C’est l’opportunité pour lui de redevenir présent pendant une journée ou deux. Alors, dépoussiérer ce vieux livre, c’est d’un même geste en revivre la lecture ; vider son armoire, c’est dans le même temps constater que son manteau préféré est devenu trop petit. Un retour en arrière, plus ou moins nostalgique, c’est cela les déménagements. Retrouver ce qu’on avait quitté. Mais il ne suffit pas de quitter les choses pour que les choses vous quittent.

Il y a tout d’abord un arrêt de bus et ses usagers qui patientent en chantonnant le titre éponyme : Partir un jour. C’est un incipit déjà haut en couleur, ponctué par un générique dont la vitesse de lecture nous est indiquée par la coloration gauche-droite des lettres. Comme un karaoké. “Un film musical d'Amélie Bonnin” : le ton est donné. Mais une douce fausse note s’invite bientôt à l’écran, tout juste descendue du car. Julien (Bastien Bouillon) entre dans le champ et interrompt la musique. Il est au téléphone et répète ahuri des “Andéol ???” – proposition de sa femme pour le prénom de leur gamin. Le personnage est caractérisé : ce refus sous-tend qu’il rejette la virilité étymologiquement propre à ce prénom, ainsi que le taux de testostérone d’Andros (qu’il est par ailleurs loin de posséder). C’est un gentil burlesque qui dissimule déjà une morale, c’est à l’image de ce petit bijou de court métrage prenant vie en Normandie, dans le Calvados, à Cormolain.

Julien revient donc pour aider ses parents à déménager. Lui est parti pour la capitale il y a dix ans et écrit maintenant sur les “bouseux de provinces”, comme le résume son père avec sarcasme sur le trajet. Le fils, la mère, le père : les trois sont serrés comme des sardines dans le camion de boucher qui les ramène à la maison, image sans doute métaphorique de cette vie qui commençait à étouffer Julien. Mais de la même manière que le format 4/3 nous fait partager l’impression d’avoir toujours connu ce bled paumé, notre protagoniste retrouve ses allures d’adolescent qu’il avait laissées sur place. Dans les allées du supermarché, il suit sa mère, avachi sur le caddie, et s’égare bien vite dans le rayon “biscuits”. Là, il opte presque sans hésiter pour une boîte de Pépitos chocolat noir. Les habitudes reviennent vite, les connaissances aussi bizarrement. Parmi ces couleurs enfantines bourrant le cadre, Caroline (Juliette Armanet) ressurgit. Elle est pétillante, un peu folle, enceinte. On la devine ancien amour de jeunesse frustré. Mais son numéro inscrit sur la boîte de biscuits et un rendez-vous en soirée – si Julien à la permission de 20h, ! – laissent fleurir l’espoir de rattraper le temps perdu. D’une mob flinguée et d’une piscine vide naîtra alors un moment suspendu.

Non, j’avais pas remarqué, sinon je peux te dire que t’aurais remarqué que j’avais remarqué.” À échelle humaine, subtil et croustillant dans l’écriture, Partir un jour nous partage avec une légèreté folle la “re-rencontre” de ces deux aimants maladroits qui ont tenté de s’oublier pendant dix ans. Mais leur feeling semble inaltérable et le désir revient au galop. Se rappeler, dévoiler, cacher, révéler, c’est mielleusement marié et manié, à l’instar des chansons qui parsèment le film. Une construction des personnages en puzzle ou en sauts de cabri qui poétise un quotidien abandonné par l’amour, bouffé par un manque jamais comblé. Partir un jour procure alors les mêmes sensations que de croquer dans un Pépito : un goût de “reviens-y”

Lucile Gautier

France, 2021, 25 minutes.
Réalisation : Amélie Bonnin. Scénario : Amélie Bonnin et Dimitri Lucas. Image : David Cailley. Montage : Audrey Bauduin. Son : Alix Clément. Musique originale : Thomas Krameyer. Interprétation : Juliette Armanet, Bastien Bouillon, François Rollin et Lorella Cravotta. Production : Topshot Films.