"Paris Shanghai" de Thomas Cailley
Alors qu’il commence un voyage de 20 000 km à vélo, Manu croise la route de Victor, un adolescent au volant d’une voiture volée... Manu aime les voyages, les grands espaces et les rencontres. Victor non.
Tendre portrait d’un loser, suite. Paris Shanghai débute en nous présentant Manu qui planifie et détaille, devant un couple de campagnards un peu interloqués, le long trajet à vélo qu’il entend effectuer. Au programme, selon lui, des rencontres, son blog et, surtout, beaucoup d’optimisme et de bonne volonté (la sienne et celle des habitants chez qui il trouvera, espère-t-il, le gîte et le couvert).
Durant quelques minutes, on pense avoir affaire au versant fiction d’un reportage mi-attendri, mi-condescendant à la sauce Strip-tease, voire à un épigone de ce cinéma des grands espaces parfois un peu crispant qui, de Bouli Lanners à Olivier Babinet en passant par Kervern et Delépine, scrute les sillons de la “lose” et s’y complaît parfois un peu trop. Mais, très vite, le film change de braquet, troquant le portrait attendu de l’idéaliste sportif incarné par Franc Bruneau contre un road movie immobile et empêché. Et pour cause ! La première rencontre n’est pas celle que Manu attendait, puisqu’elle place en travers de son chemin – et au gré d’un gag visuel remarquablement mis en scène – un adolescent lymphatique ayant la mauvaise idée de détruire accidentellement son vélo au volant d’une voiture volée. Le temps de trouver un autre vélo, de le réparer, sera celui du film. Le voyage promis ne sera pas son objet et le film s’arrêtera quand Manu repartira.
Introducing Victor, donc. Incarné par Constantin Burazovitch, il parle avec flegme, semble se foutre de tout, et encore plus du projet du cycliste hirsute. Sauf que sa nonchalance dissimule une fêlure que Manu – d’abord son antagoniste, bientôt un “grand frère” de bon conseil – l’aidera à surmonter. Paris Shanghai vaut pour le duo dessiné par ces deux personnages que tout oppose. Classique contraste tant langagier que corporel dont Thomas Cailley, en quelques minutes, assèche le potentiel comique pour en faire jaillir – et, là, le film est à son meilleur – une mélancolie tangible. Que celle-ci un brin immature et finalement assez dérisoire soit celle de l’adolescence ou de rêves un peu trop lourds à porter n’enlève rien à la beauté discrète de cette comédie déraillant avec bonheur en touchant au traité d’apprentissage.
Stéphane Kahn
Article paru dans Bref n°98, 2011.
France, 2010, 25 minutes.
Réalisation : Thomas Cailley. Scénario : Thomas Cailley et Claude Le Pape. Image : David Cailley. Montage : Lilian Corbeille. Son : Rémi Bourcereau. Musique originale : Guillaume Becker, Fabricio Nicolas, Stanislas Delannoy, Rémi Bourcereau et Thomas Cailley. Interprétation : Franc Bruneau, Constantin Burazovich, Marie Fédélic, Laure Gouzian, Rose Beignier, Élizabeth Marty, Alain Marty et Arthur Monteilhet. Production : Little Cinéma.