Cahier critique 04/09/2019

“Paris monopole” de Antonin Peretjatko

Hafsia Herzi a bien sûr d’abord été actrice...

 Le cas de figure est suffisamment rare pour être salué, à savoir la per­sistance velléitaire d'un réalisateur à bâtir, film après film, ce qui s'ap­parente à une véritable œuvre dans le registre de la comédie, en gardant une certaine cohérence, tout en s'attachant au possible à se renouveler. La personnalité d'Antonin Peretjatko occupe ainsi un territoire du cinéma fran­çais peu fréquenté – on ne voit guère que Christophe Le Masne comme autre “auteur” dans la catégorie, mais dans un style très différent. Après Changement de trottoir (2003, voir Bref n° 60), French Kiss (2004, voir Bref n°64) et, à un degré moindre, L'opération de la dernière chance (2005), Peretjatko enfonce le clou avec Paris Monopole, qui forme même avec les deux premiers cités une sorte de trilogie de la capitale, à nouveau filmée avec cette affection distanciée qui rappelle les cinéastes de la Nouvelle Vague (Paris vu par... notamment). S'appropriant d'ailleurs directement les clichés touristiques, Paris Monopole débute par un plan de la tour Eiffel : on est bien là où l'on s'attendait à poser le pied...

Les clins d'œil à la Nouvelle Vague, justement, jettent une passe­relle de continuité avec les films précédents – à commencer par la bande musicale, toujours très référencée – et le style vif et burlesque de Peretjatko s'épanouit à nouveau ; on retrouve la figure loufoque de Berthier, qui travaille désormais dans une animalerie du Quai de la Mégisserie, tandis que le personnage principal, la jeune Sabrinette, qui apparaît comme un Poulbot version XXIe siècle, se caractérise par sa débrouillardise, cherchant mordicus à s'en sortir, quitte à passer d'un job précaire (factrice, pompier ou ouvrière du bâtiment) à l'autre. Car Paris Monopole s'attaque, avec encore plus d'aplomb que French Kiss, à l'exercice de la satire politique matoise ; Sabrinette est en pleine galère de recherche d'appartement, tant se loger aujourd'hui à Paris relève du parcours de la combattante – ou plutôt de la joueuse de “Monopoly”. Dans sa quête, elle croise un arnaqueur, une fille à papa et un dilettante italien qui pourraient respectivement sortir d'un Rohmer, d'un Chabrol ou d'un Rozier “primitifs”. Et c'est finalement du côté de Guitry que le film trouve malicieusement sa conclusion, alors que Versailles est conté à la petite “beurette”, pour un plaisant symbole, en pleine période de débats autour de l'identité nationale. 

Christophe Chauville

Article paru dans Bref n°93, 2010.

Réalisation, scénario et montage : Antonin Peretjatko. Image : Simon Roca. Son : Laure Arto, Xavier Thibault et Loïc Pommies. Interprétation : Hafsia Herzi, Rodolphe Pauly, Thomas Schmitt et Luca Lombardi. Production : Chaya Films.