Cahier critique 13/07/2021

“Paperboy” de Ninna Pálmadóttir

Un jeune garçon, livreur de journaux dans une petite ville, est témoin d’un évènement chez des voisins et établit alors un lien particulier avec une jeune femme traumatisée.

Le film s’ouvre sur une fente : celle d’une boîte aux lettres dont le clapet se soulève et à travers laquelle passe un amas de papier (qu’on imagine être un journal plié). Mais ce n’est pas tout : à travers ce faisceau horizontal, cette petite cage d’action doublant le cadre de l’image, on aperçoit bientôt un regard. Un enfant d’une dizaine d’années glisse dans cette béance non seulement le courrier, mais surtout sa curiosité. D’emblée, le spectateur peut être surpris par une contradiction, car si le film laisse entrevoir un regard, tout donne l’impression qu’aucune réelle entrevue ne semble pouvoir s’imaginer. Paperboy, deuxième court métrage de la cinéaste Ninna Pálmadóttir après Little Rocks (2015), ne se contente pas de filmer les allers et venues de ce garçon à la démarche bizarre dans un paysage aride, où on le voit, seul, tirer son chariot bleu de maison en maison. La cinéaste décide en effet d’envelopper cette situation dans un voile d’étrangeté, les regards du garçon apparaissant comme débordant sa fonction de postier. Le film se focalise sur ces regards de côté, sur une sorte d’excès oculaire. S’agit-il de filmer l’indiscrétion du personnage ? Rien n’est moins sûr, et la cinéaste l’observe sans jamais laisser ses propres images être filtrées par la morale. 

Cela se passe en Islande, un pays dont le nom assume littéralement sa dimension insulaire. Et si aucune rencontre ne semblait d’abord possible, le hors champ, par l’entremise de la dimension sonore, trompe la solitude curieuse – autant que la curieuse solitude – de ce garçon inquisiteur. Pendant une tournée, le personnage entend une discussion, ou plus exactement la voix d’une femme dont les cris laissent entendre qu’elle subit des violences d’ordre sexuel de la part de son compagnon. S’esquisse ensuite, de loin, et en creux, la rencontre entre le garçon et celle qu’on présume être la victime. Dans une piscine publique. Pendant cette séquence aquatique aussi étonnante qu’émouvante, les deux personnages s’adressent même la parole pour parler de l’immersion dans l’eau glacée (que le jeune garçon ne supporte pas). S’invente ici un court échange sur la résistance physique, dont le sous-entendu se rapporte directement à la situation conjugale de la femme. La banalité apparente dissimule une profondeur bien effrayante. 

Reposant sur un jeu de vrais reflets et de fausses transparences, Paperboy troque la thématique de l’impudeur apparente pour aborder la tendresse pudique de son personnage principal, si peu naïf et encore si ingénu. Dans une séquence finale énigmatique, où l’action du personnage féminin fait écho à un geste sacrificiel, Ninna Pálmadóttir expose un hiatus : le garçon assiste-t-il vraiment à une tentative de suicide ou bien à une simple baignade ? Toujours est-il que le film se clôt sur une tendresse interpersonnelle jusqu’ici évacuée, sur un sauvetage d’ordre émotionnel. Comme pour indiquer, qu’au-delà de l’isolement psychologique et sociologique dans lequel les personnages semblent enferrés, le véritable enjeu du film est bien celui d’un frôlement, doublé d’un frisson, conséquents au regard proprement éthique du (très) jeune homme. Et ce, malgré le mutisme si étonnant, le malentendu peut-être, au bord de l’absurde, dont l’ensemble du film est empreint. 

Mathieu Lericq 

Islande, 2019, 10 minutes.
Réalisation et scénario : Ninna Pálmadóttir. Image : Lasse Ulvedal Tolbøll. Montage : Ninna Pálmadóttir. Son : David Moragas et Gunnar Árnason. Musique originale : Pétur Ben. Interprétation : Trausti Hrafn Þorsteinsson, Salóme R. Gunnarsdóttir, Ásgrímur Guðnason et  Sveinbjörn Hjörleifsson. Production : Hero Productions.