Cahier critique 24/06/2020

“Panique au Sénat” d’Antonin Peretjatko

Perejatko revient toujours au court !

Il y a tout juste dix ans, les Cahiers du cinéma (dans leur numéro 661) affirmaient qu’il ferait le cinéma de demain. Aujourd’hui, dans le petit monde de la cinéphilie française, plus personne ou presque n’ignore qui est Antonin Peretjatko, auteur-réalisateur-monteur de deux longs métrages (La fille du 14 juillet en 2013 et La loi de la jungle, en 2016) et de pas moins de neuf courts métrages. En 2010, Peretjatko fut l’un des principaux représentants de la jeune génération (plus si nouvelle aujourd’hui…), auprès de Benoit Forgeard, Sophie Letourneur, Justine Triet ou encore Yann Gonzalez.

On a beaucoup écrit sur Antonin Peretjatko, un peu partout ainsi que dans nos colonnes. Sa patte fut par nous un peu vite associée à la Nouvelle Vague. Il est vrai qu’avec ses titrages d’antan, ses faux raccords, ses voix parfois post-synchronisées, son utilisation de la voix off, sa colorimétrie typée années 1960 et son humour potache-absurde, le cinéma de Peretjatko y fait (ou y faisait) constamment écho.

L’œuvre de Peretjatko ne se laisse pourtant pas appréhender si facilement. L’ensemble est inégal. Certains courts métrages expérimentaux semblent souffrir d’une absence de dramatisation (L’opération de la dernière chance, Vous voulez une histoire ?), tandis que d’autres s’affirment avec intelligence comme des comédies loufoques, minimales, décomplexée, avec un tragique qui ne se prend jamais au sérieux. Comme par exemple Paris Monopole qui, au premier abord, apparaît comme un objet purement ludique, un Monopoly léger dans lequel Hafsia Herzi lance ses dés. Ce film dingo se révèle in fine plus sérieux qu’il n’en a l’air. Il jette un sort aux “bullshit-jobs” avant l’heure et file la métaphore de la ville-prison, quadrillée et fermée, qui expulse de son cœur tout le petit peuple. Un souffle poétique, politique, social et libertaire habite ce film, comme la plupart des farces de Peretjatko.

Panique au Sénat, neuvième court métrage de l’auteur-réalisateur, donc, arrive après l’expérience des deux premiers longs métrages. On pourrait croire qu’après La loi de la jungle, ses décors ministériels et sa Marianne tombée du ciel, Peretjatko recycle ces motifs. Les ors et les insignes de la République sont en effet un leitmotiv chez lui depuis French Kiss et jusqu’à aujourd’hui. À un tel point qu’on pourrait lire chaque film du réalisateur comme une lettre citoyenne adressée au Président… Lettre contre les armes atomiques, contre le capitalisme ou contre la marchandisation de la jeune fille, etc. Avec Panique au Sénat, le réalisateur prône cette fois, sinon un retour à la nature, du moins à un lâcher-prise de l’homme sur celle-ci.

Ce qui est ici passionnant, c’est de voir à quel point le cinéma de Peretjatko s’est, au fil du temps, dé-géolocalisé, géométriquement et géographiquement. Au début, la ville de Paris définissait les contours de ses fictions, puis ce fut la route (La fille du 14 juillet), la forêt tropicale ensuite (La loi de la jungle) et enfin le jardin avec Panique au Sénat. L’espace organise la dramaturgie comique du réalisateur. C’est son décor, sa scène. Dans le jardin, les haies permettent de se cacher. C’est là que se trouvent les ruches et le miel. L’école buissonnière, le maquis, la Révolution ne sont pas loin. Comme la forêt tropicale de La loi de la jungle, bain révélateur et libérateur sensuel, le jardin de Panique au Sénat est dopé d’engrais à fort coefficient symbolique.

On ne gâchera rien au plaisir en dévoilant le cœur de l’intrigue de Panique au Sénat : le président du Sénat demande à ce qu’on arrête de tondre le jardin. Le pitch, comme à l’habitude chez Peretjatko, est des plus farfelus. Le comique prend souche au cœur d’une des principales chambres de l’État : jeu outré, postiches, masques, déguisements, renversement des rôles ou des situations, jeux sur les oppositions ou sur la symétrie. Peretjatko s’en donne à cœur joie et pousse le bouchon de la provocation et de l’absurde, du burlesque au grotesque. Il se fait tout à la fois cinéaste féministe, philosophe, écologiste. Drôle, très drôle assurément ; politique, très certainement. Panique au Sénat se voit comme une rêverie, celle d’un cinéaste solitaire dans laquelle, ici, un responsable politique demanderait à ce qu’on n’effraie pas les oiseaux, et où là, un autre chercherait à faire le bonheur de ses concitoyens en cultivant du miel. Utopique ou prophétique ?

Donald James

Réalisation, scénario et montage : Antonin Peretjatko. Image : Simon Roca.
Son : Nicolas Waschkowski, Sarah Lelu-Morin et Caroline Reynaud.
Interprétation : Philippe Rebbot, Romain Bouteille, Pierre Merejkowsky, Émilien Tessier et
Fred Tousch. Production : Paris-Brest Productions.