"Paloma" de Hugo Bardin
Alors qu’elle vient de voler l’urne contenant les cendres de son amant décédé, Paloma, une drag-queen haute en couleur, rencontre Mike, un routier silencieux et mélancolique. Ils vont partager un bout de chemin en camion jusqu’à Paris. Un jour et une nuit ensemble pour vaincre leur solitude.
C’est d’abord par de très gros plans presque abstraits, puis dévoilant ses jambes et son corps, sur la musique de Marc Bret-Vittoz que se dévoile Paloma dans le film éponyme d’Hugo Bardin. Paloma est une drag queen aujourd’hui très connue, gagnante de la première saison de Drag Race France en 2022. Parallèlement à cette médiatisation soudaine, elle devient l’héroïne du court métrage de son créateur et interprète : Hugo Bardin.
Dès sa première séquence, le film, en jouant des plans larges, crée du décalage, de l’insolite et fait inévitablement sourire. Spectaculairement étoilée, magnifiquement tatouée, après avoir en vain essayé de se faire prendre en stop, Paloma débarque dans un bistrot de bord de nationale et file aux toilettes après avoir demandé à Mike, un client habitué du bar, de garder ses affaires. Ce dernier est un routier qui acceptera de la prendre à son bord. En deux minutes, tout est en place pour accueillir une rencontre inattendue alimentant une fiction romanesque dans laquelle émerge aussi deux urgences pour l’héroïne : participer à un spectacle à Paris le soir-même et disperser les cendres de Serge, l’“homme de sa vie”.
“Paloma, le film” trouve très vite son importance dans le parcours de l’artiste Hugo Bardin, tant il est réussi sur plusieurs plans du point de vue cinématographique : des dialogues qui font mouche sans en faire trop, notamment lors de séquences clés (“J’adore les cacahuètes au pipi !”; “Par hasard, dans ton camion, t’aurais pas de la place pour une urne et une drag queen ?”), science du récit et mise en scène élégante comprenant de nombreux plans-séquences. Bardin s’amuse aussi avec la mythologie des routiers : Mike écoute la radio Rire et chansons et parle de son espace de conduite comme de son “salon”, où il conduit en chaussons, mais n’accroche pas de calendriers de femmes dénudées et voile sa virilité apparente.
Mais le cœur du film, c’est bien sûr l’union des contraires que d’aucuns trouveraient improbable (surtout à mettre en scène en moins de trente minutes) et qui fonctionne bel et bien dans le film, même sur le fil. La forte relation sentimentale qui se forme pendant ces vingt-quatre heures entre Paloma et Mike et peut-être au-delà, fait écho à l’histoire passée de la drag queen et de son amant secret, Serge, désormais disparu. Paloma est l’histoire d’un deuil qui fait renaissance, d’une désillusion s’incarnant en un espoir. Le film fait autant l’éloge de la bienveillance que d’une nouvelle masculinité, ouverte et fluide. Plus encore, il imagine que le cœur des hommes est peut-être queer ! Pour incarner aux côtés de Paloma/Hugo Bardin (formidable) ce Mike “bear” au sourire fondant et qui bouge si bien, l’impeccable Augustin Boyer, au jeu si nuancé, s’impose.
Bernard Payen
France, 2021, 27 minutes.
Réalisation et scénario : Hugo Bardin. Image : Olivier Calautti. Montage : Camille Delprat. Son : Guillaume Valleix, Ivan Paulik et Jules Jasko. Musique originale : Marc Bret-Vittoz. Interprétation : Hugo Bardin, Augustin Boyer, Julia Steiger, Le Filip, La Grande Dame et Rouge Mary. Production : Cameramera Prod.


