Cahier critique 31/10/2023

"Our Home" de Boo Eun-joo

Jongsuk n’a pas une vie facile. Heureusement pour lui, les choses commencent à s’arranger. La preuve ? Il parvient enfin à trouver une maison. Mais en rentrant dans son nouveau foyer, Jongsuk n’en revient pas : deux enfants l’attendent dans son salon. Eux aussi vivent ici. Du moins, c’est ce qu’ils prétendent…

Our Home, de la réalisatrice coréenne Boo Eun-joo, n’est pas sans évoquer un chef-d’œuvre du cinéma asiatique, le mélodrame Nobody Knows du Japonais Hirokazu Kore-eda (2004), dans lequel des enfants sont abandonnés par leur mère et se retrouvent livrés à eux-mêmes dans un appartement. Dans le deuxième court métrage de la jeune cinéaste, la mère de deux enfants va également s’absenter. Au-delà du scénario, l’ombre de Kore-eda hante Our Home dans sa manière d’être attentif aux petites histoires nichées dans la banalité du quotidien et qui, racontées avec une immense tendresse, réservent en leur sein leur lot de tragédies intimes.

Our Home décrit l’arrivée du jeune Jongsuk dans son nouvel appartement dans un quartier résidentiel à taille humaine de Séoul. Dès la première visite, l’appartement est occupé ; il le sera également ensuite par d’autres que par son locataire légal. Le jeune homme, qui ne sera jamais vraiment chez lui, paraîtra toujours quelque peu déboussolé. À tel point qu’au début, on se demande s’il n’a pas trop bu, s’il ne s’est pas vraiment trompé d’appartement ou s’il n’a été plongé malgré lui au sein d’un film de fantômes. L’une des qualités du scénario de Our Home est de rendre le spectateur actif face à l’irrésolu qu’il déploie. Sans être abracadabrante, chaque situation interroge. Non, Jongsuk n’a pas rêvé : il a bien trouvé chez lui une mère et ses deux enfants, ce sont les anciens locataires. Le premier soir, il décide de décamper et de passer la nuit chez son frère. Mais le lendemain, quand il retourne chez lui, la mère est partie en laissant derrière elle ses deux enfants, un frère et une sœur aînée. Le garçon aime dessiner sur les murs et souhaite jouer avec lui ; la jeune fille, quant à elle, regarde des émissions de télé volume à fond. Les enfants pensent que leur mère est au travail… On comprend vite par l’intermédiaire d’une courte enquête de Jong-suk que ce n’est pas le cas. À la recherche d’un emploi, Jong-suk ne s’attendait pas à devoir porter aussi vite une charge paternelle. Our Home nous offre ainsi une belle séquence, comme une parenthèse enchantée, autour d’une possible famille recomposée. Et Jongsuk qui passe son temps à peaufiner la biographique d’introduction de son CV où il se décrit comme quelqu’un de responsable, va trouver dans cette épreuve l’opportunité de se confronter à la réalité et de donner un peu de chair et de sens à des éléments biographiques dans lesquels, on le sent bien, il avait du mal à croire. Même si la magie a eu lieu, et que Jongsuk a mûri, sans se noyer dans le pathos, Our Home dessine un monde à la fois tendre et cruel où tout ce qui n’est pas normé, comme l’enfance abandonnée, brisée, ne peut être qu’exclu. La dernière séquence, vue comme à l’œilleton met à la fois au centre et éloigne, voire écarte cette part de la réalité, qui gratte, qui gêne mais qui est bien vivante.

Donald James

Corée du Sud, 2019, 26 minutes.
Réalisation et scénario : Boo Eun-joo. Image : Hyung Ba-woo. Montage : Won Chang-jea. Son : Jang Jun-gu. Musique originale : Yoon Young-hyun. Interprétation : Kim Woo-kyum, Payk Ye-chan et Lee Ha-eun. Production : Korean Film Council.