Cahier critique 15/03/2022

“On n’est pas des animaux” de Noé Debré

Igor est complètement déprimé depuis que Marie, son ex, est devenue une star d’Instagram grâce à un groupe militant sur l’orgasme féminin. Igor pense que c’est une stratégie délibérée pour l’empêcher de trouver quelqu’un d’autre. Il convainc son copain Arnaud de l’accompagner pour tirer les choses au clair.

Une petite musique à la guitare, quelques notes mélancoliques ; une sorte de sérénade scande les paroles : “Maladie d’amour, j’aimerais être soigné…” avec une voix joliment dissonante. Igor, en plein chagrin d’amour, s’apprête à retrouver son ex, Marie, féministe militante détentrice d’un compte Instagram dédié à l’orgasme, flanqué de son comparse extravagant Arnaud. Des explications sur leur amour passé s’imposent.

Cette reconquête vers une femme, également le sujet d’un autre court métrage de Noé Debré, Le septième continent (2018), troque l’enquête ésotérique sous substance contre une fable sur les contrariétés sentimentales dans un appartement cossu. Devant les questionnements des uns et les incompréhensions des autres, les esprits s’échauffent. Noé Debré est notamment reconnu comme scénariste, soucieux de saisir une certaine contemporanéité de notre époque (l’islamisme avec Les cowboys de Thomas Bidegain, la violence pernicieuse des sociétés avec Dheepan de Jacques Audiard ou le féminisme déluré avec Problemos d’Éric Judor). Ce sont ici les relations hommes/femmes post-révolution #MeToo qui sont épluchées. Il y a ainsi un soin apporté aux dialogues ciselés, notamment par la gouaille enflammée de Vincent Macaigne ou la moue triste et le rythme saccadé de Thomas Blumenthal. Sauf que la langue elle-même se retrouve contrariée, la toxicité des rapports masculins provoque une méfiance de la part des femmes et des anglicismes se glissent dans la conversation (slow-down, male-gaze, fuck friend), des interprétations creusant les écarts affectifs dans une verve résolument comique.

De ce petit théâtre humain, de cette variation romantique à l’aune des amours réinventés, Noé Debré tire des questionnements de mise en scène. Pensé comme un huis-clos, le réalisateur filme l’espace entre quatre murs, tel une cage – pour filer la métaphore du bestiaire invoqué par le titre – ou d’un ring sur lequel fuse les bons mots et les remontrances. Les connexions au monde ne sont plus les mêmes, ou elles se font sur les réseaux, via des canaux numériques. Excepté que les principes féministes viennent se frictionner au réel. La responsabilité de ce compte progressiste sur la sexualité des femmes s’avère pesant dans le quotidien de Marie. Ce flux de parole, même enragé, aura permis de panser quelques blessures, mais le poids théorique de l’émancipation laisse entrevoir des abîmes de solitude.

William Le Personnic

France, 2020, 16 minutes.
Réalisation et scénario : Noé Debré. Image : Boris Lévy. Montage : Géraldine Mangenot. Son : Olivier Pelletier, Claire Cahu et Olivier Dô Hûu. Interprétation : Thomas Blumenthal, Vincent Macaigne, Manon Kneusé, Inas Chanti et Michael Zindel. Production : Moonshaker Films.