Cahier critique 27/03/2017

"Offre d’emploi" d’Emmanuelle Cuau

“Pris de court” sort cette semaine, découvrez à cette occasion le premier court métrage d’Emmanuelle Cuau. 

“Où commence la vie? Où donc finit le théâtre?” s'exclamait Camilla dans Le carosse d'or. Le théâtre dans Offre d'emploi, c'est le théâtre social, celui qu'une jeune femme au chômage doit jouer pour obtenir un emploi. Le premier mérite d'Emmanuelle Cuau est d'inscrire l'action de son film de plain-pied dans un contexte social, ce que la plupart des courts-métragistes d’alors ignoraient superbement. Christelle, convoquée à un entretien en anglais, débarque toute excitée chez une amie au petit matin pour lui annoncer la nouvelle. Son maniement de la langue de Shakespeare étant hésitant, elles répètent, se mettent en situation, jouent jusqu'au fou rire.

La deuxième partie du film, son deuxième acte pourrait-on dire, se déroule dans l'entreprise où Christelle postule. Elle y compose un personnage propre à séduire l'employeur. Mais, au troisième acte, au cours d'une conversation avec son amie dans un bus, nous apprenons que les jeux étaient faits avant même qu'elle pénètre dans le bureau du DG. Elle a été victime d’une technique managériale qu’elle n’aurait pas soupçonnée.

Il s'agit d'une fable dont la morale pourrait être “La raison du plus fort est toujours la meilleure…” ou “Rien ne sert de causer il faut partir au point”... Et c'est sans doute la limite de ce premier court métrage d'Emmanuelle Cuau que cette construction dramatique, dont le sens s'épuise à la première vision.

Les meilleurs moments sont ceux où l'on est touché par le témoignage de Christelle – excellente Laurence Côte – comme pétri d'une vérité intime : évocation d'épisodes qu'elle n’avait jamais partagés avec son amie, souvenirs d'enfance autour d'ambiances indiennes, que rien ne nous avait laissé soupçonner, et que nous hésitons à prendre comme un suprême jeu ou un moment de sincérité.

Dans le premier acte, la frontière est mince entre le plaisir de deux amies qui jouent un jeu de rôle et celui de deux comédiennes. Cette légèreté fait contrepoint aux autres actes. Dans le deuxième, l'enjeu de l'interprétation est vital pour la jeune femme et, en même temps, ce jeu social apparaît comme dérisoire, particulièrement factice. C'est dans cette cruauté sociale, cette schize entre ce qu'elle est et ce qu'elle doit surjouer pour atteindre un objectif qui ne la satisfait même pas, que s'engouffre la désespérance de Christelle, ce sentiment largement partagé pour quiconque se retrouve dans une telle situation.

Jacques Kermabon

Réalisation et scénario : Emmanuelle Cuau. Image : Benoît Delhomme. Montage : Isabelle Devinck et Éric Armbrustier. Décors : Simon Verner. Son : Frédéric Ullman, Jean-Marc Schick et Jérôme Harlay. Interprétation : Laurence Côte, Bernadette Giraud, Pierre G. Meunier et Véronique Gendre. Production : Les Films Pelléas.