Cahier critique 04/11/2020

“Odol Gorri” de Charlène Favier

Noée Abita, après Ava de Léa Mysius, toujours aussi farouche et rebelle.

Déjà remarquée en 2017 alors qu’elle incarnait la flamboyante Ava, dans le long métrage éponyme de Léa Mysius, Noée Abita perce de nouveau l’écran sous les traits d’Éva, l’héroïne à fleur de peau d’Odol Gorriéchappée de son foyer disciplinaire, et qui rencontre un homme, pêcheur taiseux, de deux fois son aîné. 

Il est vrai que de tels rôles lui siéent à merveille ; avec ses grands yeux sombres et profonds, sa silhouette frêle et néanmoins athlétique, Noée Abita impose partout et avec une certaine évidence sa présence à la discrète puissance, toute en mystères et en potentiels. Son jeu est corporel, instinctif ; et la mise en scène de Charlène Favier par la forme spontanée de son récit l’amène pleinement à se déployer, épousant la moindre de ses inflexions. 

Odol Gorri relève en effet un pari particulièrement ambitieux, celui d’embrasser une intrigue aux ressorts intérieurs, troubles et fugaces, tiraillée entre les élans du désir et les emportements de l’adolescence. La mise en scène est alors essentielle pour s’emparer de ce qui ne peut se dire, mais seulement se vivre : la provocation, l’attraction des corps, les sensations, toutes s’incarnent tour à tour dans la proximité de la caméra, dans le heurt de raccords abrupts, dans la matérialité organique des sonorités ou dans le jeu des ombres et des lumières, perçant de leurs immédiates et intuitives modulations le mutisme ou le verbiage distancié des personnages. 

On plonge ainsi au plus près du cinéma dans cette lutte qui s’engage entre corps et ondes, entre actes et mots, et rythme le récit. Éreintant la duplicité versatile des paroles (du “C’est ma fille” originel aux mensonges en série d’Éva par la suite) en les confrontant crûment à une escalade d’événements concrets qui les mettent à l’épreuve, la mise en scène de Charlène Favier dévoile progressivement une zone narrative indécise, aux limites troubles et équivoques. Un conflit ouvert dont les temps forts, dénués d’ellipse, interdisent toute distance au spectateur et vécu frontalement par Éva, suspendue elle-même à un état hybride : exhortée par sa monitrice à grandir (“T’es plus une gamine !”), contrainte comme une enfant, jouant à être ce qu’elle n’est pas encore – majeure et mature – et renvoyée à son inexpérience. Le malaise de ce hiatus l’encercle de toutes parts alors que les événements vécus débordent tout à fait des mots pour les dire. 

DOdol Gorrireste alors cette intensité sourde si particulière qui succède aux “Ça va ?” maladroitement lancés par deux fois à Éva ; loin des mots, résonnant dans l’expérience d’un visage. 

Claire Hamon

Article paru dans Bref n°124, 2019. 

Réalisation et scénario : Charlène Favier. Image : Yann Maritaud. Montage : Maxime Pozzi Garcia. Son : Maxime Berland, Mikaël Barre et Thomas Besson. Musique originale : Simon Meuret. Interprétation : Noée Abita, Olivier Loustau, Jisca Kalvanda, Adam Hegazy et Ximun Fuchs. Production : Mille et Une Productions et Charlie Bus Production.