"Océan" d’Emmanuel Laborie
Une chronique familiale au cœur de l’été.
Une famille sur la route des vacances, la nuit, à la fin des années 1970. La radio en sourdine, les enfants qui somnolent à l’arrière. La première scène d’Océan suffit à ressusciter des sensations familières à beaucoup, qu’ils soient quadragénaires – à l’instar du réalisateur – ou pas. On pressent aisément l’inspiration en partie autobiographique du scénario, mais le film réussit le tour de force de sortir d’une simple convention nostalgique (fréquente dans le court), par la grâce de l’écriture et de la mise en scène.
Les parents de Jean sont en pleine crise et tout se resserre autour de cette menace de “fin” qui se profile et que le jeune garçon, âgé de neuf ou dix ans, saisit de façon plus ou moins consciente. L’inscription dans l’époque demeure discrète – Bernard Hinault, Pif gadget, le jeu “Simon” –, mais s’avère importante pour enraciner l’enjeu du film : la crainte d’un enfant de la première véritable “génération du divorce” de voir sa famille se disloquer. Cette fragilité de l’unité familiale est d’ailleurs vite mise à l’épreuve, avec la disparition, certes momentanée, de son frère cadet sur la grande plage, les parents se rejetant la responsabilité d’une surveillance défaillante…
La fin d’un amour et celle d’une enfance, surtout, avec un contact direct et brutal à la mort. Avoir assisté à une noyade sur une plage de l’Atlantique avait inspiré à François Ozon le postulat de Sous le sable ; cette expérience traumatique surgit aussi chez Emmanuel Laborie, la mise en scène de l’épisode, avec des “noirs”, traduit le choc de Jean, qui touche d’un coup à la fragilité de la condition humaine : tout est éphémère. Le ton échappe ainsi à la simple mélancolie – que l’emploi de la Gymnopédie n°1 de Satie assoit un peu plus – et médiatise avec délicatesse le passage d’un âge à l’autre. Ainsi, ce regard de Jean, à la dérobée, en direction de cette mère qui a conservé ses airs de jeune fille, presque d’adolescente (Julia Faure, tellement sous-employée par le cinéma français), ou sa façon d’exprimer toute la confiance qu’il a en son père. Sommes-nous nombreux à avoir été marqués à jamais par ces étés de porcelaine ?
Christophe Chauville
Article paru dans Bref n° 108, 2013.
Réalisation, scénario et montage : Emmanuel Laborie. Image : Alfredo Altamirano. Musique : Emily Loizeau. Décors : Arnaud Lucas. Son : Didier Baulès, Philippe Grivel et François Fayard. Interprétation : Adam Lenglen, Cyrius Rosset, Michaël Abiteboul, Julia Faure, Stéphane Blancafort, Ellie Étienne, Stella Beuvard, Géraldine Salès et Michel Tavares. Production : Takami Productions.
Entretien avec Emmanuel Laborie :