“Nuage” de Joséphine Darcy Hopkins
Alors qu’un mystérieux nuage de cendres s’apprête à passer au-dessus de leur ville de province, Capucine contrevient aux consignes de sécurité́ et prend la route avec sa mère malade et Eugénie, une camarade discrète, dans l’espoir de passer les Pyrénées.
Remarquée à la faveur de Margaux et Le jour où maman est devenu un monstre, Joséphine Darcy Hopkins, ancienne étudiante de l’ESRA, s’écarte des rives du cinéma horrifique ou fantastique stricto sensu avec son premier film hors école, Nuage.
Certes, sa narration s’appuie sur un postulat à nouveau lié au cinéma de science-fiction, mais l’argument de l’arrivée d’un nuage de cendres, aussi mystérieux qu’inquiétant, permet surtout à la réalisatrice de travailler le matériau d’une métaphore réunissant ses deux héroïnes autour d’une disparition : celle du père pour Eugénie, qui vient de mourir et dont la jeune fille va devoir faire le deuil ; celle – annoncée – d’une mère gravement malade pour Capucine, camarade de lycée de la première. Comment réagit-on, individuellement et intimement, devant le choc d’un événement surgissant de manière inattendue et définitive ? Le motif de la mort ou la maladie d’un proche entre ainsi en collision avec une catastrophe d’ampleur générale, collective, qui frappe la société dans son ensemble, à savoir ce nuage dont l’avancée effraie légitimement, déclenchant des mesures d’urgence de la part des autorités, en attendant le hurlement lugubre des sirènes.
Le long métrage L’été nucléaire de Gaël Lépingle, distribué récemment en salles, explorait un tel motif, désignant directement du doigt un accident dans une centrale laissant échapper des radiations et contraignant les populations à fuir ou se confiner. Le mot, qui résonne tout particulièrement depuis deux ans et demi, est prononcé sans détour dans Nuage, élargissant sa portée à l’aune des périls environnementaux suspendus en permanente épée de Damoclès sur nos têtes. L’oxygène nécessaire à la mère de “Capu” au long de leur périple en voiture, dans une tentative de jouer le tout pour le tout, rappelle aussi indirectement cette crise sanitaire meurtrière du printemps 2020 et renoue avec une dimension visionnaire du cinéma à coloration fantastique. On pense d’ailleurs souvent, sans qu’aucune référence ne soit jamais pesante, à certaines œuvres de maîtres, par exemple lors du plan de mimétisme – une gémellité subliminale ? – des deux filles se regardant dans la glace, qui emmène vers Lynch ou Cronenberg.
Outre la maîtrise évidente de sa mise en scène, Joséphine Darcy Hopkins entretient une touche de douceur, alors que les éléments se déchaînent, dans les relations entre son trio de protagonistes féminines, une engueulade se voyant dédramatiser par un rire partagé, et l’avènement d’une potentielle fin du monde par une étreinte de sororité consolatrice.
Christophe Chauville
France, 2020, 29 minutes.
Réalisation : Joséphine Darcy Hopkins. Scénario : Joséphine Darcy Hopkins et Jean-Jacques Kahn. Image : Julien Grandjean. Montage : Joseph Bouquin. Son : Colette Constantini et Rémi Carreau. Interprétation : Cypriane Gardin, Solène Rigot, Catherine Salée, Gretelle Delattre et Pierre Pirol. Production : To Be Continued et Le lapin blanc Productions.