Cahier critique 11/11/2020

“Notre territoire” de Mathieu Volpe

La même lumière, la même chaleur. Un été semblable à celui de mes souvenirs. Pourtant, à quelques kilomètres de la ville où j’ai grandi, un tout autre monde a surgi.

Images en noir et blanc, grain super 8, succession de photos argentiques, “un été pareil à celui de mes souvenir” : le préambule du film nous place d’emblée dans un retour aux sources. Un retour aux sources du cinéma – on pense entre autres à Jean Rouch et à Chris Marker, et un retour aux sources du souvenir, pour un travail sur la matière autant que sur la mémoire. Même si, manifestement, “quelque chose à changé”.

En retournant dans le sud de l’Italie, Mathieu Volpe découvre un bidonville caché, loin des regards médiatiques, où vivent des milliers d’Africains. Dans une précarité qui côtoie la légèreté du tourisme balnéaire sans s’y mêler, ces travailleurs saisonniers s’installent ici pendant les quelques mois d’été. Des silhouettes furtives, corps éprouvés près de baraques de fortune constituant finalement un village entier. Cette vision hante Mathieu Volpe, qui revient s'installer là.

Ici, il n’est pas bienvenu de filmer ; ici, on ne se laisse pas facilement photographier. Mathieu Volpe choisit de rester et de “laisser venir”, se rapprocher pour pouvoir enfin témoigner. Oui, “quelque chose a changé”, et à l’heure du tout-médiatique, de l’image omniprésente et de l’immédiateté, il s’agit de trouver comment filmer l’invisible, raconter l’éphémère, trouver, fixer ces âmes qui se dérobent et qui, pourtant, hantent nos mémoires, nos histoires.

Les images surgissent, quelques clichés, et de brèves séquences filmées. En voix off, Mathieu Volpe raconte. Ce que l’on ne voudrait pas entendre, les conditions de ces travailleurs immigrés. Mais aussi ce qui nous touche. Car en lieu et place d’un retour aux sources, c’est finalement une rencontre qui s’opère. La rencontre dans ce qu’elle a de plus précieux. La rencontre permise par le temps passé ensemble, par la confiance gagnée, par les points communs trouvés dans des vies opposées. L’expérience intime se dévoile, et même lontemps après, même finalement éloignés, pointe le bonheur et l’importance de pouvoir continuer à dire “nous”, à dire “tu”, à être familier lorsque tout à disparu.

Notre territoire pourrait aussi bien désigner cette terre éphémère que tout un chacun voudra bien arpenter, que les souvenirs et la mémoire que chacun pourra partager. Le territoire d’une rencontre, dans toute sa force et sa fragilité.

Marie-Anne Campos

Réalisation, scénario et image : Mathieu Volpe. Montage : Pauline Piris-Nury. Son : Jean-Noël Boissé. Musique originale : Vincent D'Hondt. Production : Luna Blue Films.