Cahier critique 27/05/2020

“Notre Faust” de Chloé Larouchi et Elsa Blayau

Un grand mythe modernisé, au féminin !

On me dit ce genre d’amour n’est pas viable […] le sujet éprouve la situation amoureuse comme un piège, il se retrouve voué à une destruction totale de lui-même.” Ainsi s’annonce la scène d’ouverture de Notre Faust, une adaptation tirée du recueil de scénarios de Boris Vian Rue des ravissantes, paru en 1957.

Le mythe de Faust, qui a fait l’objet de nombreuses interprétations, est à l’origine un conte populaire allemand dans lequel un homme vend son âme au diable, désespéré par l’aporie à laquelle le condamne son art. Dans cette version moderne, le duo de réalisatrices formé par Elsa Blayau et Chloé Larouchi met en scène un amour insoluble, cultivé par la jeune Marina pour un danseur séduisant qui a le cœur ailleurs. Tournant à l’obsession, le désir de la jeune femme la pousse à passer un pacte, scellé par un baiser, avec une mystérieuse inconnue. L’incarnation du diable se traduit cette fois par un personnage féminin, impertinent et voyeur, interprété par Audrey Fleurot. Son intrusion dans la vie de la protagoniste est amenée de façon insidieuse, inscrite dans son quotidien, avec des apparitions récurrentes lors de ses moments de vulnérabilité et de désespoir. L’agilité des réalisatrices réside dans le traitement du côté fantastique, qui s’immisce par touches dans le film, sans pour autant trahir le réalisme au profit du surnaturel. 

Le film dévoile notamment une scène d’exaltation, dans laquelle Lou de Laâge prend divinement la lumière, avant de basculer vers son destin tragique. Lors de la chorégraphie sur la musique Pretty Face de Ana Zimmer, la protagoniste est comme touchée par la grâce, et danse en parfaite harmonie avec celui qu’elle convoite. La caméra épouse ses mouvements et laisse transparaitre l’aliénation qui la conduit petit à petit vers la démesure et transporte le récit vers une dimension irrationnelle.

Au travers de Notre Faust, les réalisatrices portent avant tout leur regard sur la jeunesse, les relations amoureuses et leurs désillusions. Et les écrits de Vian, antérieurs aux années 1960, traversent les époques et ne cessent de se réinventer. Tantôt adoubé par le monde littéraire, puis tombé dans une certaine en disgrâce, l’écrivain demeure éminemment vivant et son œuvre éternelle.

Léa Drevon

Réalisation et scénario : Elsa Blayau et Chloé Larouchi. Image : Romain Le Bonniec.
Montage : Suzana Pedro. Son : Régis Ramadour, Julie Roué et Matthieu Tibi.
Musique originale : Alexis Rault. Interprétation : Lou de Laâge, Alice Isaaz, Audrey Fleurot et
Salomon Mpondo-Dicka. Production : Nolita Cinéma et Affreux, Sales et Méchants.