Cahier critique 12/07/2022

“Noir-soleil” de Marie Larrivé

Suite à un tremblement de terre, le corps d’un homme est découvert dans la baie de Naples. Selon la police, l’homme se serait suicidé il y a quarante ans. En quête de son identité, elle contacte Dino et sa fille, Victoria, pour un test ADN. Lors de ce voyage inattendu l’un auprès de l’autre, la jeune fille exhume le passé mystérieux de son père pendant que Dino se plonge, malgré lui, dans les paysages de son enfance.

Marie Larrivé est peintre et, contrairement aux plasticiens avant-gardistes des années 1920 (Hans Richter ou Walter Ruttmann), qui utilisaient le cinéma pour mettre des toiles en mouvement et faire imploser ses cadres, l’animatrice veut, avec Noir-soleil, réintroduire la peinture dans le cinéma et faire évoluer les événements par un montage-collage de type pictural (la découverte de la dépouille d’un vieillard ; Dino dans la forêt au moment où le téléphone sonne ; le père et la fille sur une dune ; ou cette étonnante synthèse de lignes et de barreaux avec le cadavre “flottant” au centre). Cette succession d’aquarelles n’est absolument pas décorative, mais enrichit plastiquement le narratif du film. 

L’éruption d’un volcan produit un désordre marin qui dépose un corps décomposé sur une plage italienne. Le fils présumé du défunt, Dino, est convoqué par la police pour subir un prélèvement ADN, car le décès de l’inconnu remonte à une quarantaine d’années. La fille de Dino, Victoria, peut servir également à ce test. Chaque plan qui fait progresser l’action se double de “plans suspensifs” qui sont d’ordre purement plastique : la luxuriante forêt en désordre est “coupée” par des planches géométriques d’intérieurs ; Victoria entre dans sa chambre à dominante ocre foncé tandis qu’au plan suivant un bleu d’acier éclaire des murs zébrés d’une abondante pluie.

Chaque scène ou séquence intègre dans son développement et sa structuration une excroissance de plans sur l’environnement (l’élément liquide domine : pluie, mer, piscine, aquarium) où s’inscrivent les personnages avec des références non à des cinéastes comme c’est le cas dans le cinéma en prises de vue réelles, mais à des peintres : le Douanier Rousseau pointe le bout de son nez au début dans la faune et la flore qui cernent la maison de Dino, les plans aux bords de la piscine convoquent David Hockney…

Cette démarche picturale aborde, autour du leitmotiv central – la reconstruction d’un lien père-fille –, le thème de la mémoire collective sur un énoncé panthéiste. Lorsque Dino et Victoria se retrouvent à Naples, en attendant les résultats des examens, ils apprennent à se connaître. Dans une scène de baignade, où plane certainement un léger nuage d’inceste, l’homme évoque son passé, la violence de son père qu’il a quitté à douze ans et dont il n’a plus entendu parler jusqu’à aujourd’hui. Victoria ne parle pas d’elle – ce n’est pas un film psychologique –, mais visite l’Antiquarium où sont exposées, moulées dans le plâtre, les victimes de Pompéi anéanties jadis par une éruption du Vésuve, d’où un rebond sur le réveil contemporain du volcan qui a fait remonter à la surface le cadavre du grand-père, car c’est bien de son corps dont il s’agit. Ce mort inattendu auquel sont confrontés Dino et Victoria s’inscrit dans une tradition funèbre locale, dont la rémanence est accentuée par le “versant pictural” du film : un cocktail de moulages mortuaires en ponctuent la fin. À la question de la policière : “Que fait-on du mort ?”, répond le plan final qui voit les yeux du cadavre refléter des flammèches avant qu’il ne brûle totalement. L’incinération semble être la réponse “non-dite” des descendants.

Noir-soleil est un “objet plastique” sophistiqué dont la simplicité apparente du développement fictionnel cache de stimulantes recherches formelles qui nourrissent une autre manière de raconter un fait-divers.

Raphaël Bassan

Article paru dans Bref n°127, 2022. 

France, 2021, 20 minutes.
­Réalisation et scénario : Marie Larrivé. Animation : Marion Auvin, Ambre Decruyenaere, Romane Granger, Cécile Ladevèze, Morgane Le Péchon, Lucas Malbrun et Jean-Baptiste Peltier. Montage : Vincent Tricon. Son : Pierre Oberkampf et Quentin Romanet. Musique originale : Pierre Oberkampf. Voix : Marc Barbé, Clémence Quélennec et Olivia Corsini. Production : Eddy.