Cahier critique 19/02/2020

"No hablo american" de David Perrault

Un même visage, deux identités...

En découvrant lors de la dernière Semaine de la critique son premier long métrage, Nos héros sont morts ce soir, on avait spontanément songé que David Perrault avait la passion du cinéma de patrimoine français (à la fois de la Nouvelle Vague et de ce qui l’avait précédée). Mais il fallait surtout rapprocher son titre d’un beau film de Robert Wise (Nous avons gagné ce soir) et accueillir son personnage principal, Victor, comme un “outsider” revenu de nulle part pour comprendre que l’auteur goûte et connaît aussi profondément le cinéma américain classique.

Rien de très étonnant, par conséquent, qu’il se soit dans la foulée tourné vers un genre aussi précisément délimité que le western, genre évidemment rarissime dans le court métrage français. Quoiqu’il y en ait eu récemment un exemple, à travers Fatigués d’être beaux, du duo Anne-Laure Daffis et Léo Marchand. Mais là où deux cow-boys cherchaient, jusqu’à devenir dingues, une douille dans le désert – quête absurde et volontiers beckettienne –, David Perrault s’en tient à peindre une ironique aventure, plaisante dans sa modestie même et ne refusant pas la perspective du film à chute, certes savamment améliorée.

Étrangement, il emploie le même acteur que Daffis et Marchand, l’excentrique Pablo Nicomedes, que l’on aperçoit aussi dans Nos héros… et qui est ici crédité sous pseudonyme, comme à la grande époque du western spaghetti. Car c’est entre le classique hollywoodien et sa parodique relecture transalpine qu’évolue la tonalité de cet épisode tragi-comique demeurant toujours sobre dans l’hommage et s’appuyant sur des repérages assez stupéfiants, qui n’ont pas été menés dans la Sierra Nevada, lieu de tournage de prédilection des Leone, Corbucci et autres Sollima, mais dans le sud de la France – dont ce bien nommé “Colorado provençal” de Rustrel. Ces reliefs et crevasses parfaitement “castés” ont le pouvoir d’évocation de l’Ouest sauvage et de son lyrisme, ce que la partition d’Alex Cortés enracine, là encore sans surlignage (on pense forcément à Morricone ou à Bacalov, mais sans la gêne d’un pur mimétisme). On pourrait relier enfin le motif central du double, postulat de toute l’histoire, à celui de Nos héros… (où les masques blanc et noir sont échangés), ce qui pose déjà une obsession d’auteur, de toute évidence.

Christophe Chauville

Article paru dans Bref n°110, 2014. 

Réalisation et scénario : David Perrault. Image : Christophe Duchange. Montage : Maxime Pozzi-Garcia. 
Son : Stéphane Kah, Rémi Bourcereau et Jonathan Martins. Musique originiale : Alex Cortés. 
Interprétation : Cosme Castro et Ben Badra. Production : Little Cinema et Kyrne Productions.