Cahier critique 20/02/2019

“Negative Space” de Max Porter et Ru Kuwahata

Nommé aux Oscars 2018.

Negative Space, après un impressionnant parcours en festivals, fut l’un des prétendant à l’Oscar du meilleur court métrage d’animation l’an dernier. Consécration méritée pour un film atteignant en quelques mouvements, quelques motifs, quelques minutes, une rare profondeur. C’est d’ailleurs l’économie globale (de mots, de moyens, de péripéties) qui, d’abord, séduit ici. Fondé sur un court poème adapté en stop motion (comme le fut en son temps le Vincent de Tim Burton), ce court s’affiche aussi méticuleux que précis, raccord en cela avec les préceptes inculqués par son géniteur au narrateur du film. 

Celui-ci se rappelle en effet comment son père, qui quittait régulièrement le domicile pour des voyages professionnels, lui confia, dès ses douze ans, le soin de préparer chaque fois sa valise, lui apprenant l’art de ranger au mieux les vêtements, de traquer l’espace perdu pour une optimisation maximale. Le film, dont le récit subjectif s’accroche au souvenir, se tient à ce fil, à l’anecdote qui révèle un lien fragile, ténu, mais précieux. 

Le choix du stop motion, nécessaire évidence, donne épaisseur et relief aux objets et habits s’empilant dans la valise, puisque tout, ici, est question de formes à modeler, à aplanir, à domestiquer, puisque tout ici est question d’espace ; à commencer par cet espace qui sépare des êtres taiseux, réservés, et qu’un souvenir ému s’emploie à contretemps (trop tard aussi) à combler.

Si le père était, comprend-on, absent, peut-être même défaillant, il n’en demeure pas moins une figure admirée par un narrateur saisi à un tournant de sa vie affective. Face à ces pantins animés, abîmés, on pense vite aux figures paternelles ambivalentes, souvent décevantes, jalonnant la filmographie de Wes Anderson, autre cinéaste miniaturiste légèrement obsessionnel. Quelques plans, sur le contenu de la valise notamment, ne sont pas sans évoquer son travail : de la précision accordée aux textures, aux matières, aux objets, jusqu’au motif même du voyage qui anime les récits de La vie aquatiqueGrand Budapest Hotel ou Moonrise Kingdom. Plus exemplairement encore, c’est justement une vie tenant entière dans une valise qui enclenchait le mouvement d’À bord du Darjeeling Limited. Quant aux détours répétés du cinéaste texan par le stop motion – de Fantastic Mister Fox à L’île aux chiens –, ils accentuent cette impression de parenté, tant formelle que thématique, courant bien au-delà du strict champ de l’animation : de pères en fils, de Royal Tenenbaum en Steve Zissou, comme un petit air de famille qui, évidemment, nous ravit.

Stéphane Kahn

Réalisation et scénario : Max Porter et Ru Kuwahata, d’après le poème de Ron Koertge. Animation : Sylvain Derosne, Éric Montchaud et Ru Kuwahata. Image : Nadine Buss, Simon Gesrel et Max Porter. Montage : Max Porter. Son : Bram Meindersma et Matthieu Langlet. Musique originale : Bram Meindersma. Voix off : Albert Birney. Production : Ikki Films.

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