Cahier critique 18/05/2021

“Moutons, loup et tasse de thé…” de Marion Lacourt

La nuit, tandis que les membres d’une famille s’adonnent à de curieux rituels avant de s’endormir, un enfant invoque un loup au fond d’une boîte cachée sous son lit. D’inquiétants moutons assiègent alors la porte de sa chambre.

Lauréat du Prix Émile-Reynaud 2019, Moutons, loup et tasse de thé... est une plongée sensorielle et tendre dans le monde mystérieux de la nuit. La première partie, feutrée et intimiste, ausculte les rituels accompagnant la plongée dans le sommeil de quatre personnages sur le point de se coucher. Chaque scène semble émerger de l’obscurité, bordée par un halo sombre qui accentue l’impression de clair-obscur. On bascule ensuite dans une séquence en extérieur, lumineuse et aérée. Comme une respiration apaisée dans laquelle l’imaginaire nocturne, peu à peu, vient néanmoins reprendre ses droits. Le film nous conduit alors aux confins du cosmos, avant de réintégrer la maison endormie.  

Construit par strates successives, le récit nous dévoile ainsi des univers distincts mais emboîtés, unis par une bande sonore qui mêle des bruitages propres à chaque personnage et une musique qui s’inspire directement de ces sons. De la même manière, des motifs visuels se font écho d’une partie à l’autre, comme autant de clins d’œil au spectateur. Il est évidemment beaucoup question de moutons et de loups – le titre pouvait le laisser deviner. Mais ces animaux de contes de fées jouent avec les codes du genre : le loup fait figure d’ami idéal et de compagnon de jeu fidèle, tandis que la multiplication des moutons tous identiques finit par être totalement oppressante.  

La réalisatrice Marion Lacourt (que l’on avait découverte avec Page d’écriture, pour la collection Jacques Prévert de la série “En sortant de l’école”) nous propose une expérience immersive, envoûtante et ludique, qui retranscrit à l’écran des perceptions et parfois même des intuitions liées à la nuit et ses mystères. Elle observe en parallèle la manière dont des couches successives d’habitudes observées, d’images collectées et de souvenirs vécus ou fantasmés façonnent peu à peu chaque être humain. Cette notion de strates superposées, de résidus persistants, de combinaisons sans cesse renouvelées de matière et de couleurs, trouvent un écho évident dans la technique d’animation à l’œuvre, qui consiste à travailler des encres pigmentées sur un banc-titre multiplans rétroéclairé et à les superposer pour jouer sur les textures, et surtout sur la lumière, ingrédient phare de chaque image. Cela donne à l’écran des camaïeux de bleus, de dorés, de verts. Des teintes lumineuses et chatoyantes nées d’expérimentations formelles qui les rendent uniques, d’une profondeur et d’une richesse infinies. À l’unisson, l’esthétique et le propos du film permettent alors à ce voyage hypnotique de se déployer sur une multitude de niveaux, entre conscience, rêve, mémoire et désirs. 

Marie-Pauline Mollaret 

France, 2019, 12 minutes
Réalisation et scénario : Marion Lacourt. Montage : Catherine Aladenise et Marion Lacourt. Son : Mathieu Z'graggen. Musique originale : Nathan Blais. Animation : Marion Lacourt, Camille Authouart, Marine Blin, Hugo Bravo et Lila Peuscet. Production : Ikki Films.

À voir aussi : une sélection de documents de travail sur le film, confiés par Marion Lacourt.