"Mort à Vignole" d’Olivier Smolders
Un film éblouissant sur la fragilité de la mémoire et l’illusion du passé.
La saveur, l’émotion des films de famille, apparaissent difficilement partageables si les personnes que nous voyons évoluer nous sont inconnues. Mais, si Mort à Vignole repose pour l’essentiel sur de telles images, celles d’Olivier Smolders, ses enfants, son épouse, celles de son père – on le voit petit garçon – et même celles de l’enfance de sa femme, comme il le dit, un moment, par le truchement de la voix off, il ne parle pas tant de lui que de nous, à qui il s’adresse, et de ceux que nous tentons de retenir avec des mots, avec des gestes, avec des images.
La singulière mélancolie du film tient à un savant tissage entre cet air de Chostakovitch égrené au piano, le grain de la voix off du réalisateur, sans affect perceptible, au plus proche du neutre, et les plans agencés, cette matière muette proposée à nos regards – juste clairsemée de rares sons d’ambiance lointains –, essentiellement des moments familiaux heureux, des photos parfois, exhumation d’un temps passé, dans lequel le réalisateur perçoit un futur qu’il connaît.
On ne saurait ainsi réduire la force de Mort à Vignole aux propos tenus en off, quand bien même ils nous saisissent au point qu’on aimerait les retenir, pouvoir en disposer pour les relire car ils expriment, mieux que nous le pourrions faire, des sentiments, des peurs, qui, pour communs qu’ils soient, nous hantent et touchent à des questionnements universels. Mort à Vignole, ce miroir vers nous tendu, éveille un réseau de pensées et de sensations entremêlées, dans lequel se croisent le pouvoir des images, celui de la fiction, le vertige du temps, la mémoire et l’oubli, la mort, la douloureuse distance entre notre être de chair et d’os et tout ce qui fait ce que nous sommes…
Et encore, en en rationalisant ainsi les soit-disant propos, on restitue mal l’expérience intime que suscite en nous cet essai filmé, qui arrive à nous émouvoir avec des images et des souvenirs qui ne nous appartiennent pas. Il est vrai que, en faisant surgir un passé qui n’est plus, dans un art, le cinéma, qui fait tout pour nous faire croire qu’il se conjugue au présent, les archives font naître une sensation particulière. Mais se propage aussi dans ce que nous murmure peu à peu Mort à Vignole, comme un mouvement souterrain, une onde indéfinissable, qui conduit à une acmé d’émotion face à des plans pourtant anodins d’hommes et de femmes, posant face caméra, de simples portraits plutôt souriants, sur lesquels on ne peut s’empêcher de lire les traces de notre irrémédiable futur commun.
Jacques Kermabon
Réalisation et scénario : Olivier Smolders. Image : Olivier Smolders et famille Smolders-Grutman. Son : Henri Morelle, Philippe Bluard et Thomas Gauder. Montage : Philippe Bourgueil. Musique : Dimitri Chostakovitch. Production : Les Films du Scarabée.