Cahier critique 19/09/2018

"Monsieur l’Abbé" de Blandine Lenoir

Le devoir conjugal au siècle passé, l’amour d’un autre temps.

Avec Monsieur l’Abbé, Blandine Lenoir exhume un passé pas si lointain. Dans les années 1920 à 1940, l’abbé Viollet était assez progressiste pour créer l’Association du mariage chrétien et une revue consacrée aux questionnements matrimoniaux – comprenez sexuels – des chrétiens. Ses articles proposaient des réponses, mais appelaient également à réactions. Ce sont celles-ci, lettres écrites à l’abbé par ses ouailles, de tous horizons sociaux et culturels, que la réalisatrice a choisi de mettre en scène, et non les paroles de l’abbé. Jamais publiées dans la revue, les lettres firent plus tard l’objet d’un recueil.

Le dispositif est simple. Blandine Lenoir filme en plan fixe un acteur, différent pour chaque passage, disant avec intentions les lettres choisies, oralisant la parole écrite, entre gravité et humour. Les interprètes se succèdent, entrant dans la peau de ces chrétiens pratiquants, en costume d’époque, dans des décors reconstitués, mais dépouillés. La réalisatrice fait le choix d’une austérité esthétisée, transportant le spectateur dans des tableaux vert de gris, bleu passé, rouge terre, avec, en contre-pied, les plans qui viennent ponctuer le passage d’une lettre à une autre : le corps d’une femme dénudée s’exposant sans complexes, lascive dans des draps blancs.

Mais les lettres sélectionnées par Blandine Lenoir (quelques-unes des cent vingt répertoriées) ne concernent pas que le plaisir féminin, qui semble tout de même être au cœur des préoccupations du film. Des hommes entrent aussi dans la danse, notamment des jeunes bien ignorants de l’anatomie et du désir féminins, et pour cause, puisqu’ils révèlent leur homosexualité. C’est dire la confiance que ces hommes avaient en l’abbé Viollet ; ces lettres semblaient faire office de confession par correspondance.

Les préoccupations sexuelles délivrées dans ces propos font surtout écho aux lois rigides de l’Église, qui poussent les fidèles dans des situations limites. En terminant son film sur la lettre d’une femme révoltée, Blandine Lenoir dresse, mine de rien, le portrait des premiers pas du féminisme et de la libération sexuelle et religieuse, dont nous sommes tous les héritiers. Et si un gouffre sépare les préoccupations d’hier et celles d’aujourd’hui pour la majorité des Français, plus de 60 ans après, les questions posées par ces lettres font toujours débat au sein de l’Église, où les abbés Viollet se comptent sur les doigts de la main. 

Cécile Giraud

Article paru dans Bref n° 93, 2010.

Réalisation et scénario : Blandine Lenoir. Image : Pénélope Pourriat. Montage : Stéphanie Araud. Son : Dimitri Haulet et Hubert Teissedre. Interprétation : Margot Abascal, Marc Citti, Anaïs Demoustier, Nanou Garcia, Florence Loiret-Caille, Julien Bouanich, Jeanne Ferron… Production : Local Films.

 

Entretien de Blandine Lenoir – Myfrenchfilmfestival.com 2012