Cahier critique 11/03/2020

"Monsieur et Madame Curie" de Georges Franju

Un des premiers “biopics” des Curie, par Franju.

À l’heure où sort sur les écrans Radioactive, un nouveau “biopic” sur Marie Curie signé Marjane Satrapi, il est particulièrement intéressant et instructif de voir comment la vie et les découvertes de cette grande figure de l’Histoire a pu investir le format court. Passionné de films scientifiques, déjà auteur de plusieurs courts métrages documentaires, Georges Franju trouvait naturellement ses marques de cinéaste dans cette reconstitution pédagogique concise de la découverte majeure des époux Curie.

Adapté de la biographie que Marie Curie consacra à son mari, Monsieur et Madame Curie affiche un titre apparemment trompeur, car ce n’est pas le couple qui apparaît à première vue au cœur du film, mais bel et bien la femme scientifique. C’est elle la voix-off (interprétée par Nicole Stéphane) qui mène la narration, principalement descriptive, et apporte au film sa matière documentaire. C’est elle aussi que l’on retrouve au centre de la plupart des images, telle une force mystérieuse, silencieuse et irradiante. On le mesure rapidement : la question de la radioactivité dépasse le terrain scientifique pour interroger le pouvoir de représentation du cinéma lui-même et la manière dont il enregistre et produit naturellement, dans une forme sèche et distancée, une luminosité, un rayonnement presque fantastique. Il est d’ailleurs question, lors des premières expériences décrites par Marie Curie, de plaques sensibles portant la trace de rayons, telle une plaque photographique. La question de l’empreinte est ici centrale car elle touche aussi directement aux êtres et à la manière dont quelque chose s’imprime en eux et les traverse de manière souterraine et invisible : une force extraordinaire nichée dans un quotidien ordinaire filmé avec un dépouillement confondant. Cette force mystérieuse n’a pas seulement à voir avec la radioactivité, mais plus largement avec cette source magique et mystérieuse qu’est la vie elle-même qui traverse les êtres, puis les quitte brutalement.

Le film se termine sur le récit, très beau par sa simplicité, de la mort de Pierre Curie. C’est là que le titre fait sens, car sa disparition brutale se résume en une image, magnifique, celle des fleurs encore fraîches, cueillies lors du séjour en famille qui a précédé la mort accidentelle du scientifique. L’homme, réduit pendant tout le film à l’état de figurant, irradie étrangement au moment où il n’est plus. La nature apparaît alors dans ce qu’elle a de plus beau, tragique et insondable sous l’œil rigoureux du cinéaste mi-documentariste, mi-magicien.

Amélie Dubois

Réalisation et scénario : Georges Franju. Image : Marcel Fradetal. Montage : Roland Coste. 
Son : Pierre Vuillemin. Interprétation : Nicole Stéphane et Lucien Hubert. Production : Armor Films.

 Avec l'aimable autorisation de