Cahier critique 08/11/2022

“Mon homme (poulpe)” de Stéphanie Cadoret

Une jeune femme rentre chez elle. Elle se déshabille, se met en maillot de bain et s’enfonce dans les profondeurs submergées d’eau de son appartement. Peuplée d’une flore aquatique baroque, l’habitation est devenue l’écosystème de son conjoint : un poulpe. Jusqu’au lendemain matin, elle se plie à cet environnement hostile, humide et suffocant qui constitue son quotidien avec son homme (poulpe).

Avec son titre décalé, au potentiel léger et amusant, Mon homme (poulpe) nous plonge en quelques plans dans l’univers d’un couple fascinant : une jeune femme et celui dont elle est amoureuse – un poulpe. Bien entendu, vivre avec un poulpe entraîne quelques contraintes et aménagements, par exemple vivre dans un appartement presque entièrement aquatique, submergé passé le couloir de l’entrée. À peine immergée jusqu’à la taille, un tentacule rejoint la femme, et le ballet intime et particulier de cet amour hors pair peut commencer.

On est d’abord émerveillé par les couleurs chatoyantes, les caresses des algues qui se mêlent à celles des tentacules. Les clapotements s’entrelacent au violoncelle, dans une douceur envoutante. Cet univers aquatique semble aussi foisonnant qu’apaisant, du moins tant qu’on arrive à rester en apnée. Mais il suffit de quelques brasses pour remonter à la surface et reprendre son souffle (à condition que le poulpe consente à lâcher son amoureuse – ou sa proie ? – le temps de la laisser respirer).

Les sentiments se troublent vite, laissant la place à l’inconfort, au malaise, à l’angoisse. Plus la jeune femme s’enfonce, plus elle semble se dissoudre et se perdre dans cette relation d’emprise. Au service du cheminement vers l’intime et la perte de repères, la technique d’animation hybride saisit par sa beauté, sa fluidité. Entremêlant dessin classique, crayon, gouache, encre, et techniques numériques, Stéphanie Cadoret crée dans cet appartement un lieu de l’intime exaltant mais suffoquant, un univers mental aussi limpide que troublant.

Il ne fait aucun doute que cette relation est toxique pour cette jeune femme, qu’elle est littéralement sous l’emprise du poulpe, qu’elle sacrifie les moindres recoins de son intimité au service de cet amour envahissant, oppressant. Et malgré ces évidences, malgré la violence, malgré les traces, on entrevoit aussi les mécanismes qui inhibent le raisonnement. L’amour, la fascination pour l’autre, l’attirance pour un univers éblouissant sont de puissantes raisons à faire des concessions. Ce n’est pas vraiment la faute du poulpe si leur relation n’est possible que sous l’eau, vivre avec lui nécessite forcément de s’adapter.

Tout se joue dans le huis clos de cet appartement dans lequel il ne reste presque plus de place pour respirer, prendre de la distance ou penser. Reste à espérer qu’une prise de conscience sera possible au dehors ? Pour sortir du conflit, seules deux issues semblent possibles : s’échapper ou couler.

Marie-Anne Campos

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France, 2016, 9 minutes.
Réalisation et scénario : Stéphanie Cadoret. Animation : Xavier Dujardin, Olivia Faliph et Stéphanie Cadoret. Son : Fabien Crouissilac. Musique originale : Stéphane Clor et Marie-Anne Bacquet. Production : Marmitafilms.

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