Cahier critique 23/03/2021

“Miss Chazelles” de Thomas Vernay

Clara et Marie sont rivales. Clara est 1ère Dauphine tandis que Marie a obtenu le fameux prix de Miss Chazelles-sur-Lyon. Alors qu’au village la tension monte entre les amis de Clara et la famille de Marie, les deux filles semblent entretenir une relation ambiguë.

Raconter l’histoire de Miss Chazelles et de ses quelques vingt minutes, c’est évoquer l’histoire d’un cliché ancré dans un territoire rural, celui de ces événement locaux dérisoires et complétement datés qui déchirent parfois tout un village. On pourrait donc croire facilement à une guerre des Miss entre la lauréate, Marie, et sa première dauphine, Clara. 

Mais le grand mérite du film de Thomas Vernay, c’est de jouer avec les codes et les clichés, voire de les dynamiter. D’abord par ce parti pris, en format 4/3, de filmer un visage, plan serré, en opposition au reste d’un monde hors champ, essentiellement sonore. Le visage de Clara, la première dauphine du film, interprété par l’incroyable Megan Northam. Un visage jeune, mais déjà traversé de tant d’inquiétudes et de sentiments. Le cinéaste ne le lâche pas, à peine pour filmer quelques figures masculines dominantes et leurs combats de coqs afférents.  

Mais l’avantage, c’est Clara qui le prend par l’image, face à cette prédestination sociale qui voudrait qu’elle soit seulement, devant les hommes, que belle et reine d’un jour. Jusqu’à ce qu’elle exprime à son tour ce qu’elle ressent et que le film se transforme non pas en Roméo et Juliette, mais en Juliette et Juliette, une relation amoureuse presque impossible entre les deux clans de ce village proche de Saint-Étienne.  

Dans ce mille-feuilles cinématographique où le visage de Megan Northam serait une fois de plus le cœur, Thomas Vernay s’autorise toutes les audaces : s’attarder un peu sur un double slow des deux finalistes sur fond de “JJ” Goldman, dont la chanson Pas toi devient message codé entre filles, ou contempler à plusieurs reprises le vent dans le linge étendu ou dans les arbres de la nature verdoyante, manière souterraine d’écrire un chant lyrique sur son village d’origine. 

Pendant ces quelques heures qui séparent l’élection, jusqu’à l’aube du lendemain où les princesses perdent leurs atours, le cinéaste aura filmé cette histoire qui se donne généralement au naturalisme, comme un conte stylisé et moderne où les chevaux sont des motos et le château une salle des fêtes traditionnelle, sans perdre de vue l’éveil aux sentiments d’une jeune femme au visage fatigué, qui finit par s’endormir. 

Bernard Payen 

France, 2019, 22 minutes.
Réalisation, scénario et montage : Thomas Vernay. Image : Nicolas Berteyac. Son : Ludovic Virieux. Interprétation : Megan Northam, Alice Mazodier, Nicolas Teitgen, Emre Uludag, Lucie Cecchi, Maxence Pupillo, Laurent Eychenne, Robin et Tom Migné. Production : Cumulus Productions.