Cahier critique 30/09/2020

“Matriochkas” de Bérangère McNeese

Anna, 16 ans, vit avec Rebecca, sa jeune mère, et au rythme des conquêtes de celle-ci. C’est la fin de l’été, celui où Anna a commencé à découvrir sa propre sensualité. Quand Anna apprend qu’elle est enceinte, sa mère se voit en elle, au même âge. Anna se retrouve confrontée à un choix, et si ce choix implique peut-être de rompre avec Rebecca, elle trouvera un soutien là où elle ne s’y attendait pas.

De grosses boucles dorées se balancent, jumelles, à leurs oreilles ; elles ont les mini shorts de l’été, serrés, qui appellent à la mémoire les chansons de Doc Gynéco, et partagent la verve gouailleuse des filles qui n’hésitent pas à élever la voix. Anna, 16 ans, et sa mère, Rebecca, la petite trentaine, vivent toutes les deux dans un petit appartement d’une cité HLM des environs de Marseille. Un décor en tout point éloigné de l’imagerie russe d’où nous viennent les matriochkas, ou “petites mères”, ces poupées gigognes en bois peint qui opèrent, dans ce titre aussi malicieux que judicieux, un très joli clin d’œil. Les multiples conquêtes de Rebecca défilent régulièrement à la maison. Anna leur adresse à peine la parole ; ce n’est plus une gosse. Elle aime bien les garçons elle aussi, et c’est le coup de la boucle qui se boucle : comme sa mère à l’époque, à son tour de voir l’année de ses 16 ans marquée par un test de grossesse qui s’avère positif.

Baigné dans une lumière éclatante et rythmé par des airs acidulés, de rap ou de chants de cigales, ce troisième court de Bérangère McNeese dépeint donc un thème plutôt grave – il faudrait parler de reproduction sociale – sans se priver de vie. Un contraste en partie permis par le lieu du tournage, car les abribus en bordure de cité semblent un peu moins pénibles sous les ciels du Sud. Rebecca encourage sa fille à suivre le même chemin qu’elle en gardant le bébé – elles l’élèveront ensemble. Pour ce personnage, avoir un enfant si jeune relève aussi d’une bravade faite à la société, à l’autorité – elles s’en sortiront très bien, elles n’ont de leçon à recevoir de personne. L’enjeu du récit porte ainsi sur le choix d’Anna qui, constamment entourée d’une bande de copains, se retrouve pour la première fois seule face à une décision qui engage son corps et son avenir. Nous l’observons solliciter son libre-arbitre pour tenter de se libérer d’une mère fusionnelle, dont les bonnes intentions s’expriment au risque de nier l’identité et les désirs propres de sa fille. Les silences succédant à la musique, le noir aux jeux d’été filmés à l’épaule, autant d’éléments de mise en scène simples pour accompagner les joies et désarrois de ce personnage aux prises avec sa première décision d’adulte. Un allié inattendu viendra l’épauler (incarné par Guillaume Duhesme, qui n’est pas sans un petit air d’Éric Cantona…).

Au vu des beaux moments de jeu proposés par Héloïse Volle, qui incarne Anna, on ne s’étonne pas que Bérangère McNeese soit par ailleurs comédienne (vue notamment dans Grave, de Julia Ducournau). La relation particulière qui unit une mère célibataire et ses enfants n’a pas été explorée si souvent au cinéma. Mais il se pourrait que leurs récits se voient progressivement de plus en plus – et de mieux en mieux – représentés. Andrea Arnold s’y attelait dans Fish Tank (2009), en dirigeant une magnifique Katie Jarvis, ainsi que, un peu plus tôt, dans son troisième court métrage, l’excellent Wasp (2003), que l’on peut voir dans son intégralité ici.

Cette année, à Angers, le Festival Premiers plans montrait L’âge tendre, de Julien Gaspar-Oliveri, et Plaqué or, de Chloé Léonil. Noée Abita et Salomé Dewaels y incarnaient avec grande justesse les filles de toute jeunes mamans issues de classes populaires. Avec sa tournée en festivals belges (FIF Namur, Bruxelles Film Festival entre autres), son passage à Clermont-Ferrand et son prix du meilleur court de fiction aux Magritte cette année (l’équivalent belge des César), Matriochkas permet à ces rares personnages d’exister sur de nombreux écrans. De prochains scénarios se verront peut-être inspirés par leurs aléas…

Cloé Tralci

Réalisation et scénario : Bérangère McNeese. Image : Olivier Boonjing. Montage : Christophe Évrard.
Son : Jules Valeur, Gaël Éleon, Sarah Gouret et Mathieu Cox. Musique originale : Rony Brack.
Interprétation : Héloïse Volle, Victoire du Bois, Guillaume Duhesme et Louis Durant.
Production : Hélicotronc et Punchline Cinéma.

RENCONTRE avec Bérengère McNeese :