Cahier critique 16/01/2019

“Master of the classe” de Carine May et Hakim Zouhani



De la tendresse, de la drôlerie et une pré-sélection aux César 2019. 

C’est – littéralement – une histoire de place. Une place à trouver, à gagner, à mériter. Berry, personnage principal du nouveau film de Carine May et Hakim Zouhani, est professeur d’une petite classe d’écoliers non francophones en banlieue. Mais Berry (faut-il voir dans ce patronyme un clin d’œil au Maître d’école réalisé jadis par Claude… Berri ?) n’est pas titulaire : c’est un professeur sur la sellette, à l’allure d’éternel étudiant, sur le point d’être inspecté pour la première fois.

Il nous est présenté au petit matin, nerveux, cherchant une place pour se garer, se faisant rembarrer par la concierge de l’école quand il veut stationner quelques instants devant celle-ci et habillant à la va-vite une salle de classe de leurres visant à donner l’illusion de son adaptation à un espace qui n’est pas le sien. Pour humaniser la salle où il enseigne péniblement le français à des enfants malicieux, Berry n’hésite pas à chiper à ses collègues frise alphabétique, plante en pot et tout autre mobilier lui permettant d’investir cet espace qui, comprend-on, lui résiste, sur lequel il n’a pas su poser sa marque. À l’interrogation se posant parfois, dans le dialogue, quant à la pérennité du séjour en France des enfants dont il s’occupe, répond donc sa propre situation. Parmi des fonctionnaires titularisés le regardant souvent de haut, c’est bel et bien – pas si différemment des élèves quand ils arrivent – dans l’établissement même que Berry peine à s’intégrer.

Soit ce paradoxe d’un personnage cherchant sa place, sa légitimité, mis face à des enfants que l’absence de maîtrise du français marginalise et à qui il doit, lui, donner confiance et assurance pour qu’eux trouvent leur place dans la société. Louable programme et paradoxe fécond pour le récit.

Pour autant – et contrairement au personnage de Sara Forestier dans Primaire d’Hélène Angel (2017) – son humeur maussade, sa nervosité et son égoïsme apparent n’en font pas d’emblée un personnage attachant. Sans doute paraîtrait-il même assez antipathique si la fine interprétation de Sébastien Chassagne ne laissait transparaître ses failles sous la rudesse de ses manières. Dans Master of the classe, enseigner n’est pas forcément une vocation, pas forcément un sacerdoce, encore moins, évidemment, une sinécure. C’est parfois un boulot comme un autre, faute de mieux pour certains, faute de mieux pour Berry.

Riche en observations cocasses, fuyant l’idéalisme édifiant et réellement documenté (Carine May, quand elle n’est pas cinéaste, est elle-même professeure des écoles), le film emporte vite l’adhésion à la manière, humaine et empathique, dont La virée à Paname ou Molii (signés ensemble ou avec d’autres par May et Zouhani) surent par le passé nous émouvoir.

L’épilogue, voyant Berry ramener, bon gré mal gré, le jeune Éric chez lui après la fermeture de l’école, opère la bascule dont la fable morale ne peut faire l’économie sans pour autant résoudre quoi que ce soit. Le lendemain sera sans doute aussi difficile pour Berry. Mais le pas de côté que lui offre in fine le scénario lui aura peut-être permis de comprendre un peu mieux ces enfants qu’il ne regardait jusqu’alors sans doute pas assez…

  Stéphane Kahn

Réalisation
 et scénario : Carine May et Hakim Zouhani

. Image : Elie Girard. Montage : Nadège Kintzinger. Son : Philippe Schillinger, Clément Maléo et Samuel Beaucamps. Interprétation 
: Sébastien Chassagne, Violaine Fumeau, Séverine Poupin-Vecque et Jean-Baptiste Saurel. Production 
: Kazak Productions.