Cahier critique 12/06/2019

“Make it Soul” de Jean-Charles Mbotti Malolo

Une explosion de couleurs et de swing...

Un son grésillant de radio, les ondes viennent de diffuser un classique de la soul music de Sam Cook – figure fantomatique qui hante le film –, “A Change is Gonna Come” qui restera inaudible. Nous sommes à Chicago en décembre 1965, période charnière pour le mouvement des droits civiques. Dehors, la neige tombe et des affiches indiquent que Solomon Burke, The King, joue au Regal Theater avec un dénommé James Brown. “People Get Up and Drive Your Funky Soul” retentit, le film d’animation s’emballe et une déflagration de couleurs primaires qui se mélangent inonde un plan-séquence au mouvement erratique.

Jean-Charles Mbotti Malolo signe une œuvre d’une densité visuelle et thématique passionnante. Malgré ce bouillonnement coloré et cette fièvre artistique propres aux années 1960, le racisme gronde en filigrane. L’Amérique est encore empêtrée dans des problématiques raciales. Sans filmer une satire politique à la Spike Lee, le cinéaste capte une époque inapaisée. Les Afro-américains sont inlassablement chahutés dans la rue ou ne sont pas servis à la pompe.
En coulisse, c’est l’effervescence, Burke et Brown sont censés partager la scène, seulement, l’extravagant Solomon est victime d’une tromperie. L’aspect intimiste du film montre que l’Histoire se joue en creux dans les loges tout en posant des réflexions pertinentes sur la place de l’artiste dans la société. Avant de monter sur scène, la conversation est animée entre Solomon et James Brown. On observe en arrière-plan un poster de boxe, comme la métaphore d’un combat d’ego en train de se jouer. Ce poster va d’ailleurs subtilement se métamorphoser d’une séquence à l’autre en représentant un homme au tapis. Solomon a été détrôné. L’attention à l’espace et aux objets est cinglante, mais elle est aussi un marqueur contextuel astucieux. Un insert sur un article concernant l’assassinat de Sam Cook (revue Ebony destinée aux Afro-américains), ou encore Solomon dépossédé de son accoutrement royal comme la déliquescence d’une figure.

Jean-Charles Mbotti Malolo est aussi chorégraphe. Un regard éclairé est porté aux mouvements, agiles et renversants. La souplesse des corps dessinés ou la danse presque chamanique de James Brown marquent la rétine. Dans son précédent film, Le sens du toucher, le réalisateur mettait en scène un rendez-vous galant comme une chorégraphie où la communication passait uniquement par les gestes et la vibration d’une onde. Make it Soul reprend cette esthétique de l’ondulation, celle du flux musical qui happe les décors, les personnages et l’image. Sur scène, une électrisante explosion chromatique de formes expérimentales se met soudainement à se liquéfier, Solomon coule devant le charisme scénique et la fougue exaltée de James Brown. L’animation au feutre n’hésite pas à déborder des lignes comme pour suggérer que cet instant va se répandre sur l’Histoire. La danse, cette communication du corps, n’est plus seulement un moyen d’expression, elle est devenue une révolution.

William Le Personnic

Réalisation : Jean-Charles Mbotti Malolo. Scénario : Amaury Ovise, Nicolas Pleskof et Jean-Charles Mbotti Malolo. Animation : Susanne Seidel, Eva Lusbaronian et Valentin Stoll. Son : Mathieu Tiger et Samuel Aïchoun. 
Interprétation : Lee Fields, Avant Strangel, China Moses et Akil Wingate. Production : Kazak Productions.