Cahier critique 06/06/2018

“Mademoiselle Y" de Hélène Fillières

Sublimes Jeanne Balibar et Hélène Fillières, dans cette adaptation de Strindberg, donnant un autre aperçu du talent de la réalisatrice du long métrage "Volontaire", actuellement en salles.

Une actrice n’est jamais seule. Elle vit avec son reflet ou avec ses consœurs jusqu’à ce que l’un se confonde avec les autres, jusqu’à ce que les unes se noient dans le premier. Mademoiselle Y pose d’emblée cette question de l’actrice et de son double par une mise en abyme filée d’un bout à l’autre du film, de miroirs en miroirs, si bien qu’on ne sait plus distinguer le reflet de la réalité. Là est tout le problème. Où s’arrête le jeu ?

Deux actrices se retrouvent dans une loge avant la représentation. Elles parlent. Mais comment définir ce qui tient de la réplique du personnage et ce qui relève des propos de la femme ? Jeanne Balibar campe une comédienne aérienne et mystérieuse, l’air nonchalamment supérieur. Lorsqu’elle s’inquiète pour sa partenaire, elle pourrait tout aussi bien être en train de réciter son texte. Ses regards se perdent entre la caméra, le miroir et Amélie. Elle semble parfois même contempler son propre reflet. Si singulière, elle est perdue dans son univers. Si singulière et pourtant, Amélie reprendra tous ces gestes et son attitude dans une tirade qu’on devine volée au personnage de Balibar. Un moment de théâtre où le mensonge n’a jamais été aussi proche de la vérité. L’une devient l’autre. Elles ne se ressemblent pas mais sont liées. Un collier doré sur une robe rouge pour la première, un collier aux perles rouges sur une robe dorée pour Hélène Fillières. L’influence et le mimétisme sont à leur comble. Les mots sûrement écrits pour le théâtre résonnent dans la bouche d’Hélène Fillières comme un cri de vérités trop longtemps retenues.

Au milieu de toutes ces photos d’actrices, le propos du film s’élargit. “Mademoiselle”, l’état civil de toutes les comédiennes ; “Y”,  l’anonymat. Le court métrage donne l’impression de dépeindre les relations conflictuelles entre actrices depuis la nuit des temps. À travers le miroir, c’est l’envie et la jalousie des femmes que l’on voit ; à travers la voix d’Hélène Fillières, c’est le chœur des actrices que l’on entend. L’écrin rouge qu’est la loge accueille sa plainte à laquelle s’ajoute la peur de se perdre, de vieillir, d’être remplacée. Si seulement elle pouvait saisir le reflet du miroir et l’immortaliser.

La réalisatrice montre l’envers du décor, en passant aussi par le traitement sonore. Un grondement sourd, un bourdonnement de machines, un robinet qui goutte et le grincement d’une chaise ou du parquet, tel est l’univers de l’autre côté de la scène. Mademoiselle Y rappelle que tout n’est pas que paillettes, et que les tulipes ont un prix.

Anne-Capucine Blot

Réalisation : Hélène Fillières. Scénario : Hélène Fillières, adapté de La plus forte d'August Strindberg. Image : Nicolas Guicheteau. Montage : Agathe Cauvin. Décors : Fabienne Benisti. Son : Laurent Rodriguez. Interprétation : Jeanne Balibar et Hélène Fillières. Production : Tabo Tabo Films.