Cahier critique 24/10/2018

"Mademoiselle Kiki et les Montparnos" d’Amélie Harrault

Une explosion de couleurs, d’humour et de sensualité pour une dépaysante plongée dans le Paris des Années folles, récompensée par un César en 2014.

Le projet d'Amélie Harrault, pour son premier film, n’était pas sans écueil. Son parti pris d’évoquer la vie de Kiki de Montparnasse en mimant les styles des peintres qu’elle a rencontrés aurait pu tourner au quiz culturel ou à l’hommage pieux. Or c’est le tourbillon de la vie qui prend le dessus. D’abord, il y a le récit, le plus souvent puisé dans les mémoires du fameux modèle avec son écriture franche, sans effets et parsemée d’expressions populaires comme “faire déguerpir les totos”, “dégotter un galure en satin”, “ça fait la rue Michel”, qui apparaîtront pour certains comme (trop ?) pittoresques et, pour d’autres, éveilleront des souvenirs. Marie-Christine Orry, la voix de Kiki, jouant d’un vague accent parigot et d’un zeste de gouaille, transmet cette énergie avec laquelle cette gamine très tôt sortie de l’école, originaire d’un petit village de Bourgogne, cette bâtarde, comme elle se qualifie elle-même, devenue une femme indépendante, se retrouva une familière et le modèle de ces artistes bientôt célèbres et qu’elle rejoignait à La Rotonde ou à La Coupole : Utrillo, Foujita, Man Ray, Modigliani, Kisling...

Amélie Harrault restitue le parcours de Kiki dans le tournoiement de peintures et de styles qui font le quotidien du modèle, la sève et le sel de son existence, son bonheur aussi. “Elle était belle, la vie avec Henri. Tout semblait facile.” lance-t-elle tandis qu’on la voit dans la décapotable d’Henri Broca puis, à son bras, s’arrêtant devant la librairie Shakespeare et compagnie.

Ce faisant, ce film d’animation – sans doute rigoureusement documenté – prendrait presque la force d’un documentaire. Les rues, le tramway, les façades et les intérieurs des bars ou des salles de spectacle, le Paris de ces célèbres années semblent renaître sous nos yeux.

Mais avec l’évocation de la vie réelle surgissent fatalement la sensation de l’écoulement du temps et les bouffées de nostalgie qui l’accompagnent, comme ce moment où la muse de Montparnasse vieillissante, devant son gramophone, écoute la voix de la vraie Kiki interpréter “Là-haut sur la butte”, une de ces chansons d’alors qui se complaisent dans les souvenirs de la jeunesse. L’émotion est alors à son comble.

Jacques Kermabon

Article paru dans Bref n°107, 2013.

Réalisation, scénario et image : Amélie Harrault. Son : Yan Volsy. Montage : Rodolphe Ploquin. Musique : Olivier Daviaud. Animation : Serge Elissalde, Amélie Harrault et Lucile Duchemin. Interprétation : Céline Lambert, Marie-Christine Orry, Jean-Pierre de Giorgio, Nathalie Sappa, Matthew Geczy, Yan Volsy, Eriko Takeda, Nouritza Emmanuelian, Alice Benoist d'Etiveaud, Alan Czarnecki et Serge Elissalde. Production : Les trois ours.