Cahier critique 16/04/2018

“Ma belle rebelle” de Jean-Paul Civeyrac

Où l’on voit se croiser un amour qui refuse de finir et un autre qui aurait pu commencer.

J’ai besoin de dormir”, explique Julien pour excuser son manque d’enthousiasme et son absence à une répétition de son spectacle. Sa torpeur est un peu celle dans laquelle le court métrage plonge le spectateur : un espace cotonneux où l’amour devient palpable. Julien se prépare pour un spectacle musical. Il a surtout du mal à se remettre d’une rupture. Élise l’aide pour l’enregistrement de la musique et peut-être aussi pour l’apaisement de son cœur. Enfin Laetitia l’accompagne au piano pour un morceau.

Le premier plan sur Élise introduit immédiatement une sensibilité et une grâce propices à la naissance de sentiments amoureux. Sa très légère progression en avant est imprégnée d’une lenteur qui se transmet aux autres mouvements du film. Lorsque les deux autres personnages entrent dans la pièce, les déplacements restent harmonieux. L’image est fluide, comme une caresse. On retrouve cette même douceur dans les mains qui effleurent les touches du piano et les regards que les protagonistes s’échangent, pleins de compassion ou de désir. La musique également très calme et le décor épuré tressent un cocon au sein duquel un amour persiste alors qu’il est mort dans l’âme et un autre s’amorce sans se douter qu’il est mort-né. Dans cette ambiance maîtrisée, il suffit de peu de mots, d’un sourire gêné pour comprendre ce qui ne veut ou ne peut pas se dire. Des mots, un sourire, et une chanson ; un travelling circulaire enveloppe Julien qui chante, donnant un élan à sa voix qui déborde subitement de son histoire passée et de sa douleur très présente.

Puis, tandis que la tension monte entre ses deux collaboratrices, Julien devient subtilement l’intrus. Il suffit qu’il parte pour qu’elles se rapprochent dans le même cadre comme deux aimants. Leurs yeux se rencontrent. Longtemps. Mais Laetitia d’un geste balaye ce qui devenait une possibilité. C’est compliqué. Élise est à nouveau seule face au vide laissé par la pianiste. Réalisé dans le cadre de la collection Talents Adami Cannes, Ma belle rebelle capture un moment charnière qui frôle la consolation ou l’extase, mais la porte se referme. Il ne reste plus qu’un briquet.

Anne-Capucine Blot

Réalisation: Jean-Paul Civeyrac. Scénario: Jean-Paul Civeyrac et Thomas Bidegain. Image: Céline Bozon. Montage: Saskia Berthod. Son: Frédéric de Ravignan. Interprétation: Carole Deffit, Clary Demangeon et Antoine Hamel. Production: Les Films du Poisson.