Cahier critique 03/10/2018

"Love patate" de Gilles Cuvelier

La curieuse histoire d’amour entre un homme et une pomme de terre.

Friterie Sabine. Ce sont les premiers mots éclairés par des néons que l'on peut lire sur une baraque à frites dans le creux d'un plan. On est dans le Nord, la lumière est blafarde et des vapeurs de friture se dégagent dans l'atmosphère. Le son pétaradant d'un jeune homme sur une mobylette interrompt cette étrange quiétude. Plus tard, ce jeune homme sans nom glisse de son engin sur la chaussée, il a roulé sur une patate et a pris un coup sur la tête. Une liaison improbable se noue avec cette pomme de terre pas tout à fait comme les autres, sous les yeux ébahis de Sabine.

Love patate – sélectionné à la Semaine de la critique en 2010 – adopte un ton farfelu, qui contraste avec l'atmosphère grise et peu aimable de son animation dépressive. On navigue dans un joyeux mélange de genres : le surnaturel façon Le village des damnés pour cette menace insoupçonnée, la romance décalée, mais également la chronique sociale. Produit par Papy3D Productions, société habituée aux récits matures, l'œuvre de Gilles Cuvelier ose même quelques saillies cauchemardesques et surréalistes (cette tête qui se retrouve déterrée et pelée comme une patate). Cronenberg rencontre Buñuel. 

L'animation mélange les techniques, sobrement éclectique. Il est à la fois question de dessins aux traits exubérants ou élancés, mélangés avec des décors en prise de vues réelles ou encore une séquence au graphisme instable. C'est ce vers quoi tend le film, un mélange de réalisme ordinaire et de fantaisie baroque. Le fantastique côtoie le quotidien avec candeur. Le soin apporté par l'arrière-plan procure également un charme faussement effacé. C'est une peinture discrète du Nord-Pas de Calais, ses frites, ses maisons de briques rouges, sa campagne environnante et son goudron humide. Déjà dans Chahut, Cuvelier s’intéressait à la ville de Dunkerque et son carnaval déjanté. Un clown se retrouvait seul dans des rues étrangement désertées près de la mer comme dans la poésie épurée de Louise en hiver de Jean-François Laguionie. Dans cet opus, les couleurs sont moins chatoyantes, plus lugubres – elles sont plus proches de la noirceur plastique de (Fool Time) Job, mais l'expression des formes est aussi mélancolique. Love patate est un terreau fertile qui préfère savamment cultiver le mystère, celui de la folie d'un tubercule, pour faire pousser un cinéma décidément singulier.  

William Le Personnic

Réalisation et scénario : Gilles Cuvelier. Animation : Gabriel Jacquel, Sarah Van Den Boom et Samuel Guénolé. Son : Sébastien Cabour et Falter Bramnk. Musique originale : Falter Bramnk. Interprétation : Gaële Prigent et Jean-Louis Sauvage. Production : Papy3D Productions.

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Présentation de Love patate de Gilles Cuvelier – Cinémathèque française :