Cahier critique 07/04/2017

"Les ronds-points de l’hiver" de Louis Séguin et Laura Tuillier

Un film envoûtant en sélection l’année dernière aux Rencontres européennes du moyen métrage de Brive.

Un générique : le cadre est fixe, carré, enserrant, tandis qu’apparaissent les crédits, une rue d’une petite ville de province dont on ne sortira presque pas ; là-même où fut perpétré quelques jours plus tôt un meurtre sur lequel enquêteront bientôt un policier et un gendarme mal assortis. Cette inscription locale – d’une grande demeure de Joigny à un petit pavillon de Sens, lieux entre lesquels le récit, avec quelques détours par une médiathèque ou la campagne environnante, ne cessera d’osciller – fait toute la singularité du moyen métrage de Louis Séguin et Laura Tuillier, plumes par ailleurs appréciées chaque mois dans les Cahiers du cinéma.

Après Soirs de semaine que la seconde réalisa à l’économie et dans lequel jouait le premier, ces enfants assumés de Rohmer (non pour la revue où ils eurent en commun d’écrire, mais pour la manière lettrée de leurs dialogues) quittent le Quartier Latin, ses cafés et ses marivaudages pour un ersatz de film policier où l’enquête importe moins que ce qui se noue, en deux temps, entre un policier parisien (Stanislas Merhar), un gendarme icaunais (Serge Bozon) et une suspecte mystérieuse, cette Alice Château (Lola Créton) habitant seule dans une grande maison aux lits qui craquent et à la cheminée qui crépite. Les cartes de Cluedo que manipule au début du film un personnage secondaire, traces de l’enfance, attestent d’ailleurs pour le spectateur de l’artificialité assumée d’une intrigue “McGuffin” dont on ne connaîtra ni les tenants ni les aboutissants.

Car la beauté singulière du film est ailleurs, précisément dans le détournement du buddy movie policier opéré par Séguin et Tuillier sur un mode hivernal et presque neurasthénique. Il y a donc ce duo de flics – Merhar et Bozon / Denis et Bory – que l’on aperçoit d’abord à travers une fenêtre s’avancer dans un jardin, parfaitement synchrones, d’un pas égal, mais tellement dissemblables, l’un en civil, l’autre en uniforme, l’un massif, l’autre plus hésitant. Pourtant, au-delà de ces différences (moteur comique évident et fausse piste sur laquelle nous met d’emblée la présence du volontiers burlesque Bozon), les réalisateurs tout autant que les acteurs n’auront de cesse de les rapprocher. D’abord physiquement, par la promiscuité d’un logement partagé (Bory héberge Denis chez lui le temps de l’enquête), puis au gré d’émouvantes conversations où la mélancolie de vieux garçon de l’un érode peu à peu la nature solitaire et taiseuse de l’autre. À mesure que ces deux-là se lient, que Bory se met en quatre pour Denis (lui cédant son lit, lui prêtant sa voiture, sa carte de bibliothèque – une véritable amitié naît), la vérité s’éloigne et l’enquête s’étiole, bientôt mise entre parenthèse, puis délaissée pour céder la place à un deuxième film dont Alice Château devient l’héroïne ambiguë et le gendarme Bory, trop sentimental et trop professionnel sans doute, le laissé pour compte.

C’est dans cette bascule (vers le drame, la passion, même…) que Les ronds-points de l’hiver trouve sa bouleversante liberté, jamais ne s’enfermant dans les genres codifiés semblant tour à tour l’accueillir, rebondissant toujours vers l’inattendu, jusqu’à l’irrésolu…

Stéphane Kahn

Réalisation et scénario : Louis Séguin et Laura Tuillier. Image : Martin Rit. Montage : Raphaëlle Martin-Hölger. Décors : Fred Jacq. Son : Damien Guillaume, Antoine Bailly et Emmanuel Bonnat. Interprétation : Lola Créton, Serge Bozon et Stanislas Merhar. Production : Bathysphere Productions.