Cahier critique 27/11/2019

"Les petits cailloux" de Chloé Mazlo

Le ventre, ce deuxième cerveau !

Une petite valise se balade à une main inconnue. Elle est suivie par une autre, puis encore une. Toutes de tailles différentes, de couleurs différentes, à des mains différentes. Et sur ces bagages, des mots. “Mon ex”, “Le chocolat”, “Ma femme”… Tous ces éléments du quotidien qui peuvent parfois paraître lourds. Ce sont bien ces mots-valises qui se promènent, comme si c’étaient elles qui régissaient notre vie. Ce sont elles qu’on voit d’abord, elles qui nous définissent. Les petits cailloux, qui a valu un César du meilleur court métrage d’animation en 2015 à Chloé Mazlo, ne s’annonce pas très joyeux.

Pourtant, un premier carton – ou une version moderne de ceux du cinéma muet – s’affiche : “Tout va bien”. Écriture italique soignée, à l’encre bleue, couchée sur une feuille d’écolière. C’est, avec le physique de la réalisatrice qui joue son personnage, le seul indice que nous aurons sur la personnalité de cette jeune femme aux expressions caricaturales et impersonnelles, avec des costumes et accessoires en carton, dans un décor minimaliste et presque inexistant. Il s’en dégage une atmosphère ludique, appuyée par ces bagages qui matérialisent physiquement nos angoisses. Celles-ci créent de l’espace entre les amis, bouchent parfois la vue.

L’aspect très visuel du film lui donne un ton léger qui contraste avec son histoire. L’esthétique est à la couleur, aux formes et aux déguisements, ce qui place le film dans un mouvement contemporain, tandis que le choix du muet, du thème musical qui suit les aléas de l’humeur du personnage et du système des cartons qui rythment l’action nous ramènent au siècle dernier. Un mélange des époques et une neutralité qui permettent d’universaliser le propos, de le souligner et de le mettre en avant. Parfois, même quand on a l’impression que “la vie est belle”, la souffrance n’est pas si loin, car nous vivons tous avec nos mots-valises. Tout le monde laisse des pierres tombales au cimetière de ses peurs.

La stop-motion existe depuis les débuts du cinéma, mais il était principalement utilisé pour faire bouger “comme par magie” des choses inanimées. Une technique principalement tournée vers les objets, mais qui a très vite enrichi les mises en scènes des corps humains. La pixilation consiste à prendre des photos d’un mouvement décomposé pour ensuite ne sélectionner que certaines images et donner des impressions de flottement ou de glissement. Juan Pablo Zaramella dans Luminaris en 2011, par exemple, se sert de cette méthode pour transformer notre monde et y mettre un peu de magie. Il rend l’impossible possible : des gouttes deviennent des ampoules, les hommes lévitent, une ampoule devient montgolfière… Chez Chloé Mazlo, on ne peut pas vraiment parler de magie. Son utilisation de la stop-motion, appliquée ici à des humains semble plutôt réifier les femmes et les hommes de cette histoire, qui évoluent par à-coups, au rythme des images, aussi saccadées qu’un cœur angoissé.

Anne-Capucine Blot

Réalisation : Chloé Mazlo. Scénario : Chloé Mazlo et Sébastien Laudenbach. Image : Anthony Peskine. 
Montage : Olivier Blaecke et Chloé Mazlo. Son : Florian Billon et Xavier Marsais. 
Musique originale : Son of a Pitch. Interprétation : Chloé Mazlo, Hermès Mazlo, Sébastien Charlot, Lucie Borleteau,
Franc Bruneau, Karl Mazlo, Nicolas Pariser, Anthony Peskine et Liem Trinh. Production : Les Films Sauvages.

Avec le soutien de la 

Rencontre avec S.O.A.P (Son of a Pitch), compositeur du court métrage Les Petits cailloux de Chloé Mazlo :