Cahier critique 28/09/2021

“Les navets blancs empêchent de dormir” de Rachel Lang

1. Trouver une explication rassurante à une insomnie : avoir mangé des navets blancs. 2. Observer le mécanisme des passions 3. Sortir des idées inadéquates. Les navets blancs sont bourrés de vitamine C.

Dans Mon légionnaire, son second long métrage (présenté à la Quinzaine des réalisateurs en 2021), Rachel Lang reconfigure les thèmes qu’elle abordait déjà dans ses films précédents. En Corse, des épouses de légionnaires attendent leurs maris partis en opération au Mali. Tandis que les hommes se battent pour maintenir la paix, les femmes luttent pour la survie de leur couple et de leur famille. Le casting mêle à des acteurs professionnels de véritables soldats, qui diffusent l’esprit de corps militaire à l’équipe du film. De fait, la réalisatrice a créé autour d’elle un petit commando qui répond présent à chaque film et reprend les mêmes chefs de poste depuis Les navets blancs empêchent de dormir, son premier court métrage, en 2010. Confirmant ce solide effet de continuité dans la filmographie de la cinéaste, Salomé Richard qui en tient le rôle principal sera aussi la protagoniste de Baden Baden (2016) et incarne une jeune engagée dans l’armée dans le court Pour toi je ferai bataille. Ana, une sculptrice trentenaire qui peine à se débrouiller avec le monde réel et végète dans une relation à distance insatisfaisante avec un artiste installé à Bruxelles.  

Ana, la mesure des choses, tu sais…”, lui rappelle sa grand-mère lorsque la jeune fille dit n’avoir pas dormi de toute une nuit à cause de la vitamine C contenue dans les navets mangés au dîner. De mesure, Ana n’en a point, elle qui semble tout ressentir très intensément et que la succession des différentes séquences nous présente dans des états émotionnels qui jouent aux montagnes russes. Au cœur du film, sa visite à son petit ami est un condensé des sentiments qui la traversent. Sur le chemin d’une fête, le couple se dispute dans une épicerie de nuit polonaise et change sans arrêt d’avis sur les articles qu’ils veulent acheter. Belle idée de mise en scène que de montrer dans cette scène que la seule chose sur laquelle le couple s’accorde, c’est précisément l’indécision. Le voyage à Bruxelles n’est pas seulement un aller-retour, mais une avancée dans la vie de la jeune femme qui trouve le courage de s’affranchir d’une relation moribonde et de ne pas se complaire à la faire subsister artificiellement par la douleur qu’elle lui procure. 

Avec une amie (jouée par la réalisatrice elle même), Ana a pour projet artistique d’afficher sur un panneau lumineux des phrases qui amènent anecdotes ou réflexions qui leur semblent être des symptômes de la société dans laquelle elles vivent. “L’huile de pistache enlève les traces de sparadrap” : cette phrase qu’Ana décide de faire apparaître sur le panneau résume en une sorte de haïku poétique et mystérieux qu’elle est parvenue à transformer sa relation amoureuse. Tout comme l’huile végétale a pu venir à bout des petites traces collantes sur la peau de son amant, la jeune fille a transformé son chagrin d’amour en forme artistique. Dans cette conclusion, le film résume joliment son projet d’essayer de convertir la lourdeur du quotidien en une matière créatrice légère et vivifiante. 

Raphaëlle Pireyre 

Belgique, France, 2011, 28 minutes.
Réalisation et scénario : Rachel Lang. Image : Fiona Braillon. Montage : Adeline Nonat. Son : Philippe Charbonnel, Matthieu Roche et David Vranken. Musique originale : Stéphane Ritzenthaler. Interprétation : Salomé Richard, Julien Sigalas, Anna F. Jaeger, Lazare Gousseau et Rachel Lang. Production : Chevaldeuxtrois et Stempel.