"Les enfants de la nuit" de Caroline Deruas
À l’occasion de la sortie en salles de "L’indomptée", premier long métrage de Caroline Deruas, découvrez l’un de ses courts métrages remarqué en son temps.
Il peut a priori sembler surprenant que Caroline Deruas, après avoir signé un film aussi engagé et brûlant que Le feu, le sang, les étoiles (qui se déroulait au lendemain d’élections et fut entrepris juste après celle de Nicolas Sarkozy, cf. Bref n° 86), s’intéresse à la période de l’Occupation, la “nuit” du titre, qui plus est pour mettre en scène une histoire d’amour.
Mais cette artiste insoumise parvient à transcender le postulat conventionnel de son intrigue et le décorum habituel de l’époque pour poser toute la singularité de son regard. On découvre son héroïne de 20 ans, Henriette, à bicyclette, jupe plissée écossaise et socquettes, et sa rencontre avec Joseph, soldat allemand en garnison dans les environs, permet d’entendre le prévisible accent germanique du jeune homme. Mais, sur la base de ces motifs presque télévisuels qui, au moins, installent d’emblée l’atmosphère de toute une époque (précisément le printemps 1944), la réalisatrice fait une vraie proposition de cinéma, rattachant d’abord son film à une tradition cinématographique française. En off, la voix d’une narratrice prend volontiers des accents de certains films de Truffaut, tandis qu’un noir et blanc superbe et certaines fantaisies formelles (des flashbacks en iris) ramènent aussi à la Nouvelle Vague (des remerciements au générique sont d’ailleurs adressés par la directrice de la photographie à Raoul Coutard). Enfin, la jeune figure féminine jouée par Adèle Haenel renvoie immanquablement à celle d’Hiroshima, mon amour, une punition similaire étant appliquée, dans la Bretagne profonde comme à Nevers, à qui aurait été “coupable” de rapprochement intime avec l’ennemi…
Le sort de ces femmes, à la Libération, Jean-Gabriel Périot en avait montré toute l’insoutenable inhumanité en 2006, à travers les archives d’Eût-elle été criminelle… Caroline Deruas a justement choisi de représenter le châtiment par l’entremise d’une caméra amateur d’époque, qui donne une image réaliste tranchant avec la facture sophistiquée du corps du film. Elle nous met, du coup, directement en face de l’inévitable dilemme que suscitent ces images vues et revues : qu’aurions-nous fait et comment percevons-nous ces actes ourdis par de supposés “héros” de la Résistance ? Une fois de plus chez la réalisatrice, la politique, finalement, demeure partie prenante de la démarche créative.
Christophe Chauville
Article paru dans Bref n°103, 2012.
Réalisation et scénario : Caroline Deruas. Image : Pascale Marin. Son : Philippe Grivel, Sébastien Noiré et Frédéric Hamelin. Montage : Floriane Allier. Interprétation : Adèle Haenel, Felix M. Ott, Arthur Igal, Yves Donval. Production : Les Films au Long Cours / La Mer à Boire Productions.