Cahier critique 19/09/2023

"Les enfants de Bohème" de Judith Chemla

Idi et Rita vivent chez leur grand-mère, Manie. Idi essaye de conserver les souvenirs qu’ils ont de leur mère, en dessinant sur son cahier d’école. Par la force de leur désir, les enfants gardent le lien qu’ils ont à leur drôle de maman, malgré la séparation.

La bohème, ça ne veut plus rien dire du tout... Aznavour affirmait qu’elle appartenait à une époque révolue, mais pour Judith Chemla, elle continue d’exister, pour le meilleur et pour le pire. Les enfants de Bohème, court métrage d’une vingtaine de minutes, met en scène Idi, Rita et leur maman, qui tente de leur apprendre à apprécier la musique.

Les premières minutes nous entraînent dans une scène de quotidien légère et douce. Les couleurs tirent sur le pastel, la très faible profondeur de champ crée comme un voile autour des visages. Le décor s’oublie tant et si bien que l’on peut aisément imaginer les personnages sur un nuage. Même lorsqu’ils parlent fort, leurs voix se perdent et laissent place à la musique. Pourtant, l’air joué à l’accordéon est le seul élément perturbateur de cette séquence d’ouverture. Les première notes de “L’amour est un oiseau rebelle” teinte d’inquiétude le quotidien parfait, nous laisse un goût amer, comme si peut-être tout ceci n’existait pas.

Pour cause, nous comprenons très vite qu’il s’agit en réalité de souvenirs. Une caméra beaucoup plus fixe et des images grisâtres peignent des séquences d’un tout autre quotidien. Dans un appartement banal où ils vivent avec leur grand-mère, les deux enfants se disputent, la petite Rita pleure. Chacun à sa manière, ils se souviennent. Idi dessine et Rita se concentre pour entendre le petit violon que leur mère imagine parfois avec eux, quand elle n’est pas trop malade.

Sa condition est révélée dans une séquence haute en couleur, de manière tout à fait délicate. Elle se présente avec ses deux enfants à l’opéra pour une audition. Lorsqu’on refuse de la recevoir, au lieu de partir, elle se met à chanter et danser. Elle porte une tenue improbable où se mélangent paillettes, couleurs, matières et motifs. Sa voix s’élève et résonne dans le bâtiment. Pour les guichetiers, elle devient une folle qu’il faut sortir ; pour ses enfants, elle est un être supérieur, “une sorcière” selon Rita impressionnée. Plus que le goût pour la musique, c’est l’appréciation de l’instant présent que cette mère transmet. Même sans elle, ses enfants tâcheront toujours de se rappeler la beauté d’un peu d’irrévérence et la nécessité de préserver son orchestre intérieur.

Anne-Capucine Blot

France, 2021, 21 minutes.
Réalisation : Judith Chemla. Scénario : Judith Chemla et Elise Benroubi. Image : Arnaud Alberola. Montage : François Quiqueré. Son : Cédric Berger, Alexis Meynet et Olivier Guillaume. Musique originale : Florent Hubert. Interprétation : Ilion Thierrée, Gloria Manca, Yolande Moreau et Judith Chemla. Production : Chadoz Films.