Cahier critique 18/10/2022

“Le test” de Gabrielle Stemmer

Leïla a du retard. Mais pas n’importe quel retard : un retard de règles. Galère.

Formée au sein de la section montage de la Fémis, dont elle est sortie diplômée en 2019, Gabrielle Stemmer a été révélée par le génial Clean With Me (After Dark). Ce court essai entre dans la catégorie du desktop documentary, un type de films se déroulant entièrement à partir du bureau d'un ordinateur. Il s'inscrit aussi dans la démarche du net found footage, qui consiste à exploiter et analyser des images prélevées directement sur Internet, en l'occurrence ici les comptes Instagram et vidéos YouTube réalisées par des femmes se livrant à des tâches ménagères à leur domicile – une véritable tendance qui fait fureur ces dernières années aux États-Unis.

Passé le léger étonnement de découvrir qu'avec Le test, la cinéaste a bifurqué vers la forme plus classique de la fiction, et même de la comédie, on constate bien vite qu'il s'agit d'une nouvelle occasion de creuser, par le biais d'une nouvelle forme, ce qui ressemble à son fil rouge. Et pour cause puisqu'il s'agit d'une prédilection nettement engagée, à savoir l'analyse des différentes aliénations pesant sur les femmes.

Le film est né dans le giron de la Fémis : pour son travail de fin d'études, Marine Schappely, étudiante du département production, propose à Gabrielle Stemmer de l'accompagner dans la réalisation d'un nouveau projet. Après plusieurs propositions, le récit du Test l'emporte. C'est d'un test de grossesse dont il est question, auquel doit se soumettre l'héroïne, Leïla (Salomé Ayache), que nous suivons le temps d'une journée. Moue blasée, touffe de cheveux indomptée, elle cherche désespérément un lieu où uriner tranquillement pour réaliser en bonne et due forme le test tant redouté. Les critères de réussite sont variables et Leïla est effrayée à l'idée qu'il s'avère positif. C'est donc l'injonction omniprésente à la maternité qui est ici visée sans détour, mise en scène par l'usage de moyens comiques potaches. Sur les murs de la ville, des affiches martellent : “Faites plus d'enfants !” Et les bébés que l'on croise sont goguenards, en véritables figures tyranniques. Jusqu'à leur babil quasi monstrueux, ou le souffle de leur sommeil, pas loin de celui d'un mini Dark Vador transmis par le babyphone. Une vieille amie croisée par hasard supplie Leïla de porter un instant son petit garçon : “Prends-le ! Vraiment !”.

Ce que nous redit aussi le film, c'est qu'au-delà de cette histoire de grossesse, les femmes sont constamment testées, reluquées, jugées. Le serveur d'un bar n'en loupe pas une, alpaguant via des “Ma belle” et autres grands classiques de blagues graveleuses (“Sans contact ? Dommage...”). Leïla est infantilisée par son beau-frère qui quitte l'appartement en lui lançant un “Pas de bêtises !”. En guise de déco, les mots “Think Happy” et “Dream”, déjà présents dans Clean With Me…, témoignent de cette autre injonction au bonheur qui va de pair avec la procréation.

De quoi devenir maboule, comme le docteur, ce jeu auquel s'adonne un client dans une pharmacie où Leïla tente de quémander des renseignements sur la durée de la pilule du lendemain. Le film porte un regard caustique sur d'autres abusrdités du monde contemporain, dégommant au passage le monde du travail. Leïla, qui travaille chez un opérateur de téléphonie, s'empresse d'accrocher son badge à son pyjama pour répondre au téléphone à un client. Ces ressorts comiques inscrivent le film dans une certaine famille de cinéastes français travaillant cet esprit de décalage, tels Valérie Donzelli ou le Benoit Forgeard de La course nue (2006).

Dans cette dynamique, on retrouve le travail de montage de Gabrielle Stemmer en salle, actuellement, avec Tout le monde aime Jeanne, de Céline Devaux, ou bientôt avec Coma de Bertrand Bonello (qui sortira le 16 novembre prochain). Celle-ci travaille actuellement sur un prochain projet, intitulé Sweet Home, un documentaire interactif qui analysera, toujours sous un angle féministe, l'espace domestique d'une famille américaine.

Cloé Tralci

France, 2020, 18 minutes.­
Réalisation et montage
 : Gabrielle Stemmer. Scénario : Perrine Prost et Gabrielle Stemmer. Image : Olivier Calautti. Son : Sacha Milkoff, Laura Chelfi et Emma Zimny. Musique originale : Robinson Senpauroca. Interprétation : Salomé Ayache, Noémie Ayache, Ariane Naziri et Norbert Ferrer. Production : Marine Schappely, pour La Fémis.