"Le skate moderne" d’Antoine Besse
Quand Raymond Depardon rencontre Gus Van Sant. Une gracieuse et hypnotique démarche documentaire autour de jeunes skaters du fin fond de la Dordogne, sur un envoûtant fond musical de Gabriel Fauré.
L’usage critique tend trop souvent à blâmer les jeunes réalisateurs rendant délibérément hommage à un maître. Antoine Besse s’en défie en parvenant à toucher, en moins de sept minutes, à la grâce de son modèle. Dès le titre donné à son film, le jeune réalisateur ne dissimule rien ; Le skate moderne se réfère directement à La vie moderne de Raymond Depardon (2008), qui l’a inspiré. Il choisit même sans trembler d’utiliser à son tour les partitions de Gabriel Fauré, l’Élégie, opus 24 et surtout l’ample et ravissant Pavane, pour donner sa propre variation autour de “profils paysans” inattendus et qu’il connaît parfaitement : des amis d’enfance demeurés dans leur campagne profonde – la Dordogne, en l’occurrence –, que l’ennui et l’absence d’horizons (sociaux comme culturels) ont conduits à une pratique frénétique et obsessionnelle du plus urbain des sports, le skate-board.
Loin des spots du Trocadéro ou du Palais de Tokyo, pour en rester aux sites parisiens les plus fameux, le groupe de jeunes rats des champs investit la géographie de son hameau et de ses environs, et la caméra joue des formes et des courbes de leurs astucieux parcours en appliquant d’harmonieux cadres (voir les skaters en oscillation à l’intérieur d’un tunnel de béton) et en jouant de ralentis qui donnent de la noblesse à une discipline qu’on aurait facilement tendance à dédaigner comme un divertissement pour ados attardés.
Il y a pourtant dans leurs trajectoires comme un parfum d’éternité, lié à la nature environnante, certes, mais nulle once de mélancolie passéiste n’existe dans le regard posé par le réalisateur sur ses camarades et leurs familles. La manière dont il les magnifie, par la fluidité du montage et les poses qu’ils prennent face à sa caméra, nous fait même oublier si ces jeunes gens s’habillent réellement ainsi, impeccablement “smart” sur les chemins boueux. Peu nous importe l’éthique de l’approche, en fait ; leur procession étrange, en planches à roulettes derrière un tracteur, fumigènes et drapeaux énigmatiques à la main, semble arrêter le temps, rien de moins.
Christophe Chauville
Article paru dans Bref n°114, 2015.
Réalisation : Antoine Besse. Son : Pierre Ravoyard. Costumes : Nastasia Hadjadji. Production : Kloudbox et Les Belles histoires.