Cahier critique 01/04/2020

« Le sens du toucher » de Jean-Charles Mbotti Malolo

Le premier chef-d’œuvre de l’auteur de Make it Soul.

À l’occasion d’un spectacle, Chloé et Louis s’accrochent du regard mutuellement. C’est le début d’une histoire d’amour sans parole, où l’expression des sentiments passe par celle des corps. Avec Le pays des sourds, Nicolas Philibert avait ouvert la voie en abordant de façon sensible le sujet par la narration documentaire. Plus récemment, le long métrage ukrainien The Tribe, de Myroslav Slaboshpytskiy, en offrait une vision fictionnelle beaucoup plus violente. Le sens du toucher est une variation animée dans laquelle le handicap n’est finalement pas celui que l’on croit ; Louis souffre d’agoraphobie et c’est bien cette “anomalie génétique” qui devient le ressort dramatique du récit et non son état de malentendant. Le premier rendez-vous amoureux est un chassé-croisé silencieux où l’harmonie naissante, fragile, est menacée par l’intrusion de deux chatons facétieux et la maniaquerie maladive de Louis. L’animation permet au réalisateur de représenter toute une gamme d’émotions et de sensations qui ne peuvent être verbalisées ici : anxiété, fébrilité, attirance, contrariété, compassion ou colère.

Le film joue par moments de la distorsion des échelles, des perspectives, des corps et des matériaux pour retranscrire l’in- tensité de la relation et des incompréhensions qui en découlent. Le langage des signes devient le langage des corps et offre quelques séquences chorégraphiques où la fluidité des gestes et des mou- vements semble calquée sur une danse bien réelle.

La narration du film bénéficie de cette même élégance et est traversée par une vibration quasi constante qui relie les séquences entre elles et devient un lien indéfectible et vital entre Chloé et Louis. La chanteuse Camille, qui a composé la musique originale du film, a utilisé ce procédé, en version sonore, sur son album Le fil, en créant une note de basse qui “courrait” tout au long du disque pour unifier chacun des morceaux.

En grande partie silencieux, Le sens du toucher met en valeur tout élément sonore ou musical dont le minimalisme épuré confine à la grâce. Le film vient nous toucher doucement, du bout des doigts, et nous donne à voir et à ressentir dans une langue alors devenue universelle.

Fabrice Marquat

Article paru dans Bref n°114, 2015.

Réalisation, scénario et chorégraphe : Jean-Charles Mbotti Malolo. Animation : Guillaume Lorin, Suzanne Seidel et Jean-Charles Mbotti Malolo. Montage : Pauline Coudurier et Hervé Guichard. Compositing : Benoît Razy et Jean-Philippe Nicolle. Son : Loïc Burkhardt et Flavien Van Haezevelde, Xavier Drouault et Loïc Moniotte. Musique originale : Camille. Production : Folimage.