Cahier critique 08/11/2017

“Le sens de l’orientation” de Fabien Gorgeart

Une exploration de la masculinité par le réalisateur de Diane a les épaules, actuellement en salles.

C’est avec Comme un chien dans une église (2007) que Fabien Gorgeart avait été remarqué et ce lieu de culte éminemment symbolique se trouve à nouveau au cœur du Sens de l’orientation, Prix spécial du jury à Clermont-Ferrand 2013. Mieux, c’est la même bâtisse que l’on voit, sous un angle différent, dans les deux films, qui se répondent directement. En effet, le premier mettait en scène une journée de mariage mouvementée et le duo du second se trouve précisément en repérages, cherchant le lieu idéal pour ce tournage ! Le cadre, c’est d’ailleurs pour le réalisateur un outil fondamental dans les deux sens que le terme peut recouvrir au cinéma : celui de l’appareil photo de Comme un chien… pouvait médiatiser la solitude de certains personnages ; l’habitacle de la voiture met en abyme la pérégrination de Martin et Eliott, jouant avec l’idée du “film dans le film”.

En se référant aux deux titres, ceux que l’on imagine respectivement réalisateur et chef-opérateur ne trouvent heureusement pas le “bon” sens de l’orientation à leur parcours, et plus largement à leur vie, par la grâce subite de la religion ; ils ont même un peu l’air de chiens perdus au milieu d’une cérémonie de baptême qui, du reste, angoisse sérieusement Martin. Le réalisateur joue même des symboles afférents avec une matoise ironie : lorsqu’une fidèle lui remet une bougie, Martin ne sait que faire de cette “lumière”… Et sous une Vierge prétendue miraculeuse, l’instant suspendu qui fige son visage nous interpelle aussi : le film osera-t-il s’orienter vers la “guérison” de celui qui vient d’apprendre être stérile ? On le redoute quelques secondes, mais c’est une fausse piste… Car l’enjeu du film ne se situe pas là, mais plutôt dans l’exploration de la masculinité et la façon de l’aborder, la vivre, l’assumer aujourd’hui. “On est des hommes ou on n’est pas des hommes ?”, se lancent d’ailleurs, de façon joyeuse, Martin et Eliott, tentant de désembourber leur voiture, à la fin du film. Cette question prégnante à la quarantaine trouvait des échos différents, dans les années 1970, pour les groupes d’amis de Claude Sautet1. Aujourd’hui, les désirs plus tardifs de paternité coïncident avec la midlife crisis et les quadras, moins matures d’apparence, peuvent jouer aux cow-boys sur un thème (sublime) d’Ennio Morricone. Mais c’est avec tout autant de justesse et de sensibilité que Fabien Gorgeart sonde le cœur des hommes, leurs amitiés et leurs doutes.

Christophe Chauville

1. On pense évidemment à Vincent, François, Paul et les autres (1974), tandis que la voiture enlisée évoque un motif identique dans Mado (1976), allégorie d’autres pressions et blocages sociétaux.

Article paru dans Bref n°107, 2013

Réalisation et scénario : Fabien Gorgeart. Image : Thomas Bataille. Son : Mathieu Descamps, Alexandre Hecker et Benjamin Laurent. Montage : Damien Maestraggi. Interprétation : Fabrizio Rongione, Thomas Suire et Lalao Pham Van Xua. Production : Petit Film Production.