Cahier critique 14/02/2023

“Le printemps de Claude” de Gaspar Chabaud

Dans un parc peuplé d’amoureux, Claude est lassé du couple qu’il forme avec lui-même.

Gaspar Chabaud excelle à raconter des histoires simples, dans un cadre épuré d’une grande finesse. Après Tête de linotte ! et Tutu, Le printemps de Claude ne déroge pas à la règle. Ce portrait de quatre minutes épate par son trait précis. Par sa visée claire comme de l’eau de roche. Ce n’est qu’avec lui-même que le héros vit. Alors il est dédoublé à l’image, quand il va “farnienter” au parc, pour mieux incarner ses pensées intérieures, pallier l’absence d’altérité, et lutter contre la pression environnante. Que des couples autour de lui ! Jusqu’à l’encercler de bonheur de vivre, de vitalité et de proximité physique. Belle idée de signifier l’apparente confiance en soi écrasante des autres duos par le flou entourant le double du protagoniste. Comme l’acteur en pleine crise existentielle, campé par Robin Williams dans Harry dans tous ses états de Woody Allen (1997). 

Le récit de Gaspar Chabaud ne nécessite pas de remplissage exhaustif du cadre. Les décors ne débordent ni de couleurs, ni d’éléments. Ce qui prime est ce qui vibre dans chaque scène, dans chaque plan. Le nerf de la guerre, c’est la captation humaine. Ici, l’état au monde de Claude, pris en étau dans la floraison amoureuse générale, qui lui renvoie son exclusion. Les idées fusent pour créer une profondeur de champ en deux dimensions. Un pied en amorce incarne un premier plan, derrière lequel sort la silhouette complète d’un petit homme, avançant parmi des lignes horizontales, un parasol ou un personnage assis. C’est notre héros qui apparaît plus loin dans l’herbe. La gamme chromatique réduite ajoute aussi à la précision du trait, avec des contours noirs et un dégradé de vert d’eau aquarellé. Claude, lui, sort du lot par l’orange profond et foncé de sa peau, et par le gris de son pantalon. 

Le printemps de Claude raconte en quelques saynètes le miroir renvoyé par la pression collective de l’idéal du couple, et l’isolement d’un être parmi la multitude. L’homme débute et finit seul ce récit, agrémenté d’une tentative de rencontre, qui finit en eau de boudin. Alors Claude entame un pas de deux avec son double en plein gazon, qui débouche sur un enlacement, qu’un subtil fondu enchaîné entraîne chez lui, le soir venu, pour quitter son pull, éteindre la lumière, et… conclure sur le générique final. Sans tambour ni trompette, Gaspar Chabaud illustre en douceur la difficulté d’adaptation. Claude est un cousin du gosse de Tête de linotte !, déboussolé par son problème de maths, et par l’injonction à comprendre et solutionner. Comment tenir quand on semble être en dehors du coup ? Par la poésie, par la rêverie, par l’échappée belle. Par la création aussi, avec ce film à la stimulante fraîcheur. La réjouissance d’être vivant jaillit de l’imagination. Et le printemps fleurit où il veut. 

Olivier Pélisson 

France, 2021, 4 minutes.
Réalisation et scénario : Gaspar Chabaud. Animation : Gaspar Chabaud et Hippolyte Cupillard. Montage : Jeanne Fontaine et Myriam Copier. Son : Pierre Sauze et Jean-Baptiste Cornier. Voix : Céline Déridet et Noé Mercier. Production : La Poudrière.