Cahier critique 20/03/2017

"Le pourboire (ou la pitié)" de Myriam Aziza

Variations sur le même thème, avec la virtuosité de Nathalie Richard.  

Le film de Myriam Aziza est un film de dispositif. Il se déroule une première fois autour d'un duo d'acteurs, puis une seconde fois en inversant les rôles, comme le négatif et le positif d'une même œuvre. Le dispositif consiste à revoir le même film, à entendre les mêmes dialogues, à observer les décors identiques, à reconnaître tous les ressorts de l'action, seuls étant intervertis les deux comédiens : Nathalie Richard et Pierre Berriau. Quel est l'intérêt d'un tel film après des œuvres comme Une sale histoire de Jean Eustache, par exemple, qui ne se contentait pas de recommencer deux fois une même histoire en modifiant l'une de ses composantes, mais qui filmait le récit du récit, sa propre mise en cause en tant que fiction ?

Le pourboire (ou la pitié) est un film bien différent dans son procédé, il ne s'agit à aucun moment de remettre en question une forme narrative en produisant son envers non-narratif, mais de se placer dans le processus fictionnel pour le recommencer, le faire dévier et nous renvoyer aux fondements du jeu des acteurs, aux possibilités de la fiction. Autour d'un quiproquo sur un pourboire escroqué ou pas, un couple se dispute, puis se réconcilie. En inversant les rôles, en repliant l'histoire sur elle-même, Myriam Aziza réalise un film sur les acteurs et sur leurs possibilités ; le film est double et pourtant ne se redouble pas, on reste attentif alors à des détails de jeu, aux subtilités d'une interprétation, aux gestes nerveux de Nathalie Richard, à ses regards précis et à son visage effaré. Le film nous démontre simplement que l'incarnation d'un personnage par un acteur passe par la voix, le visage, la silhouette, la gestuelle et qu'il faut apprendre à les ressentir et à les observer parce que c'est eux qui donnent chair à un film.

Hugo Bélit

Article paru dans Bref n°46, 2000. 

Réalisation : Myriam Aziza. Scénario : Arthur-Emmanuel Pierre. Image : Jean-Marc Bouzou. Montage : Isabelle Ingold. Son : Sophie Laloy, Mikaël Barre et Jean-Paul Hurier. Interprétation : Nathalie Richard, Pierre Berriau et Jérémie Elkaïm. Production : Lazennec Tout Court.